Contenus associés à "Axe 3 : La (re)localisation du politique : un processus sous tension (2022-2027)"

La (re)localisation du politique : un processus sous tension

Après avoir cherché à éclairer l’articulation entre l’action institutionnelle et « ordinaire » lors du quinquennal sortant, l’axe 3 d’ESO prolonge l’examen des tensions constitutives de l’action publique spatialisée en resserrant l’analyse sur une question de recherche (ré?)-émergente, faisant l’objet d’une attention croissante de la part des chercheurs impliqués dans l’axe. Il s’agit de partir du postulat que les interactions entre actions institutionnelles et pratiques ordinaires stimulent des dynamiques sociales et spatiales nouvelles que nous proposons de questionner en termes de « relocalisation du politique ». Penser ce processus signifie observer le redéploiement du politique comme chose commune à travers des logiques institutionnelles ou non, et aux diverses échelles des territoires, locaux ou non.

« Relocalisation » met l’accent sur le ré-ancrage d’un certain nombre de politiques publiques et de pratiques sociales qu’il s’agira de décrire et analyser, tout en portant un regard critique sur « l’illusion localiste » et sur les projets et valeurs très divers que peut recouvrir ce retour au local (du localisme identitaire et au souverainisme patriotique, jusqu’au bio-régionalisme et aux circuits courts).

Doit-on d’ailleurs parler de relocalisation du politique ou de nouvelles formes de localisation, ou de façon plus ouverte encore de nouvelles spatialisations du politique ? En ce sens, nous faisons l’hypothèse que les tensions à l’œuvre dans la relocalisation du politique sont tout autant hors des cadres institutionnels (l’activisme politique, les pratiques collectives...) qu’à l’intérieur, ce qui prolonge la réflexion du quinquennal précédent sur l’articulation des dimensions institutionnelle et « ordinaire » de la/du politique. Les deux premiers sous-axes ont une portée transversale afin de stimuler les échanges conceptuels entre les membres de l’UMR. Les deux derniers sous-axes ont une portée plus resserrée, permettant de structurer des débats scientifiques sur des questions émergentes.

1. Espaces relocalisés, espaces en lutte

Le premier sous-axe appréhende la relocalisation du politique à travers les contraintes associées. Il interroge pour cela les luttes sociales, les tensions entre groupes sociaux, le renouvellement des conflits territoriaux et la perpétuation des inégalités (A. Margier ; S. Gaudin). L'approche par les crises successives et la résilience territoriale et les dispositifs de régulation permettra également de comprendre les phénomènes de relocalisation du politique (J.-E. Beuret ; B. Quenault).

Le retour au local : décrypter les mobilisations actuelles à la lumière d'un héritage

Dans les années 1970, l'idée de relocalisation du politique est apparentée à des mouvements régionalistes et à leurs slogans du « nous voulons vivre au pays » fortement suspects dans un État centralisé. Depuis son essor au moment des rassemblements du Larzac jusqu’aux « territoires en lutte » d’aujourd’hui, ces mobilisations défendent, à 50 ans d’intervalle, des agricultures attentives aux terroirs, des paysages et des cultures locales spécifiques, des compétences décentralisées et des modèles de résistance au pouvoir central ainsi qu’à une certaine ingénierie de l’aménagement du territoire. Ainsi, le retour au local exprime à la fois une relocalisation de la politique contestataire et révolutionnaire (E. Walker), une production territoriale par les conflits, une géographie politique du pouvoir et une « géopolitique » nouvelle de l’aménagement du territoire. Cette section interrogera cet héritage dans sa dimension actuelle.

Des crises contemporaines qui investissent le local

La relocalisation du politique, hypothèse de cet axe de recherche, peut être observée suite à plusieurs processus socio-économiques mais aussi environnementaux. Elle est souvent le résultat de processus contraints où le local apparait comme l’une des portes de sortie. Il peut s’agir de luttes sociales jouant le local contre le global (E. Walker ; M. Uhel), de crises sanitaires contraignant les déplacements lointains ou de crises environnementales mettant au goût du jour les circuits courts de tous ordres (C. Darrot). 

La problématique de l’axe 3 incite les chercheurs d’ESO à se positionner vis-à-vis d’une question socialement et politiquement vive. L'approche par les crises, qu'elles soient environnementales, sanitaires, climatiques, sociales, économiques, questionne la résilience des sociétés et des systèmes territoriaux et les inégalités que ces crises génèrent ou exacerbent. Cette approche de recherche est particulièrement adaptée à l'échelle locale (service urbain, M. Durand ; système pénal, P. Milburn ; G. Molina ; B. Quenault). L'action collective et l'action publique apparaissent comme le fruit de processus non souhaités, souvent non contrôlés, aboutissant, dans certains cas, à la relocalisation du politique face à la faiblesse d'autres types de régulation. Le territoire, longtemps considéré comme un paramètre n'ayant plus aucun impact sur l'action publique redevient essentiel dans la gestion des crises à court terme et la résilience à plus long terme. L'économie est ainsi vécue comme enjeu primordial d'action locale, la maitrise des flux de proximité (énergie, eau, alimentation, résidus...) comme un outil de politique environnementale (J.-B. Bahers ; M. Durand), et la solidarité s'invite au cœur des relations de voisinage (C. Devaux ; I. Garat ; C. Guiu ; A. Rouyer ; S. Vernicos). Il s’agira toutefois de privilégier une lecture multiscalaire pour penser le local et le global articulés, soumis aux mobilités (A. Morel-Brochet ; S. Delépine) et questionner l’enjeu de la proximité sous l’angle de l’inter-territorialité et de la « bonne distance » (J.-B. Bahers ; I. Garat).

Les ambiguïtés de la mise en avant du local : local qui divise VS local qui solidarise

Cette section visera à questionner, du point de vue de l’action publique, le statut de l’espace (support, outil, ressource) dans les mobilisations sociales, en attachant une attention particulière à la revendication du local, aux stratégies dont il est l’objet et aux tensions auquel il est soumis : le local qui divise VS le local qui solidarise…  Ce questionnement identifie d'une part les vertus de l’échelle élargie : ouverture à l’altérité, transferts de solidarité, complémentarité des milieux, dépassement des « baronismes » et du clientélisme local, etc. Il interroge d'autre part les conflictualités territoriales et plus globalement les mobilisations sociales qui s’expriment dans et par l’espace pour dénoncer les inégalités sociales, les injustices, les discriminations (P. Bergel ; I. Garat ; N. Raimbault ; M. Uhel ; E. Walker). Pour articuler les échelles et faire le lien avec l’action publique territorialisée à ses différents niveaux, il faudra nécessairement questionner la dimension spatiale de ces espaces en lutte (en réseau) et de ces mobilisations qui expérimentent au niveau local des pratiques qui ambitionnent de préfigurer des changements plus globaux. Ce retour au local nécessite de mettre en perspective son contenu, sa délimitation spatiale et son sens politique au regard des revendications dont il a déjà été l’objet (C. Emelianoff).

2. Relocalisation du politique, mobilisations et expertise citoyenne

Le deuxième sous-axe cherche à comprendre comment la relocalisation du politique peut également être le fruit de processus co-construits et volontaristes. Il prend pour cela en compte les dynamiques citoyennes d'acquisition de compétences d'expertise d'une part, la co-construction par les acteurs – institutionnels ou non – de l'action publique d'autre part (H. Bailleul). Ces deux approches seront notamment analysées à travers les conditions d'accessibilité aux données et aux outils numériques. 

Expertise citoyenne et empowerment

Cette section postule que les différentes actions de relocalisation du politique se font à travers une montée en compétence de l’expertise citoyenne afin d’interagir de façon accrue avec les porteurs formels de politiques publiques. La relocalisation du politique implique des jeux d’acteurs renouvelés, des formes de mobilisation citoyennes dynamiques, une capacitation des habitants et donc leur montée en expertise à travers une hybridation des savoirs (A. Atlan ; H. Davodeau ; C. Devaux ; F. Joliet ; D. Montembault ; N. Raimbault). La construction et la mobilisation de cette expertise dans la mise en œuvre d’actions publiques nécessitent de mobiliser des compétences souvent construites de façon empirique, des savoirs-citoyens mais aussi de s’approprier un discours longtemps perçu comme réservé à une technocratie, par exemple dans le domaine de l’insertion par l’emploi, de l’accompagnement du vieillissement (C. Devaux ; A. Rouyer) ou de l’économie sociale et solidaire (M. Roupnel ; R. Gaillard ; E. Bioteau).

Co-construction de l'action publique

Celle-ci peut se jouer à l’échelle d’un individu, d’un collectif organisé ou non, de structures entrepreneuriales formelle ou informelle, et même de modalités renouvelées de coopération intercommunale (G. Bailly ; G. Billard ; E. Hellier). 

Si certains de ces héritages viennent des premières expériences de territoires en autogestion dans les années 1970, les mouvements actuels se distinguent sous bien des aspects, en particulier sous l’effet du contexte des « transitions » : par les espaces investis et les façons de les occuper, les discours et références qui justifient et orientent ces actions, les nouvelles coopérations et formes de municipalisme expérimentées (P. Boudes ; M. Uhel ; V. Van Tilbeurgh ; E. Walker).

Sous l’effet des dynamiques démographiques, des mobilités (A. Morel-Brochet), de la localisation des emplois, de co-construction des espaces résidentiels (B. Chaudet ; C. Devaux ; C. Lamberts), du désir de nature des citadins et du réensauvagement (V. Andreu-Boussut, C. Barthon), ou de leurs exigences en matière d’alimentation de qualité produite à proximité des villes (C. Margetic ; F. Fortunel) et de relocalisation des flux de biomasse (A. Pierrat), différents dispositifs d’aménagement prennent en charge aujourd’hui la relation ville-campagne (Y. Le Caro).  Dans la mesure où l’élargissement des territoires locaux (communes nouvelles, grandes intercommunalités) ne s’accompagne pas nécessairement d’une intensification démocratique, ne génère-t-elle pas, paradoxalement, une « proximité distante », compensée par des processus participatifs et coopératifs de villages ou de quartiers (G. Krauss) ?

Accessibilité des données, usage du numérique

L'expertise citoyenne et la capacité à entrer dans des modalités coopératives et participatives de construction de l'action publique sont aujourd'hui amplifiées et permises par la maitrise des données et des outils numériques. Cette acquisition de compétences, à la fois plus lourdes et complexes tout en étant largement démocratisées fait pleinement partie de cette expertise nouvelle à acquérir par les groupes citoyens (G. Bailly ; H. Bailleul ; V. Billaudeau ; B. Mericskay ; S. Loret). Cette section met en valeur les réflexions territoriales autour de cet usage du numérique, qu'il soit centralisé et promu par le plus haut niveau de la hiérarchie territoriale – 5G, smart City... – (G. Billard, G. Baudelle) ou par des initiatives citoyennes localisées – fab-lab, do it yourself... – (H. Bailleul).

3. L’action environnementale politique

Le troisième sous-axe appréhende la relocalisation du politique à travers l'action environnementale. Il interroge pour cela les constructions politiques locales (C. Laidin), la territorialisation des enjeux écologiques et leurs politisations. Seront traitées ainsi les tensions entre les formes politiques de l’action environnementale et les paysages conceptuels s'y référant.

Les constructions politiques locales de l’action environnementale

Il s’agit dans ce sous-axe d’interroger la diversité des constructions politiques locales de l’action environnementale, entendue comme tout ce qui contribue à la construction d’un espace public et d’interactions sociales en lien avec les enjeux environnementaux. Si la transition est un paradigme global, les réponses à y apporter relèvent de modalités locales qui peuvent être en tension avec des injonctions trop générales. Cette territorialisation, voire territorialité, des enjeux écologiques sera abordée au prisme des lignes de tension qui les traversent (N. Dupont ; V. Jousseaume ; F. Laurent ; C. Margetic). Assiste-t-on à de nouvelles formes de politisation de l’action environnementale, dans le creuset par exemple des discussions portant sur les concepts d’anthropocène et de capitalocène mais aussi du genre dans l’urbanisme et de l’aménagement végétal (P. Boudes ; A. Etiemble) ? La focalisation de l’attention sur les questions relatives au changement climatique (la « climatisation de l’environnement ») n’éclipse-t-elle pas d’autres enjeux ? (B. Quenault). Il pourra être aussi question des affects liés aux sensibilités environnementales qui entrent en politique (B. Feildel ; E. Geisler ; M. Plard ; V. Van Tilbeurgh), des potentialités et limites d'une entrée paysagère pour aborder les questions environnementales (S. Caillault ; H. Davodeau ; E. Geisler ; D. Montembault ; F. Romain) et de l'écologisation des pratiques touristiques (C. Guibert ; J-R. Morice).

Comment la politisation de l’écologie s’insère-t-elle dans les débats scientifiques et l'enseignement ?

Une autre focale est abordée dans ce sous-axe, au travers des débats et des controverses scientifiques sur ce sujet. Il s'agit donc du revers de la démarche précédente, forme de réflexivité de l'action environnementale politique : comment la politisation de l’écologie affecte-t-elle les débats scientifiques ? En effet, la tension entre dépolitiser/politiser l’écologie s’enchâsse progressivement dans les controverses scientifiques. Les applications territoriales de l’écologie politique (J.-B. Bahers), la traduction ou « récupération aménagiste » des enjeux environnementaux, les modes locaux de transitions (M. Tsayem), la géo-ingénierie et le post-humanisme, le bio-centrisme, l’alliance des humains et non-humains (V. Van Tilbeurgh) ou les politiques terrestres sont des ingrédients d’un paysage conceptuel  et de rapports de force en recomposition, qu’il conviendra d’appréhender (cf. chantier forum participatif « Ecologie politique »). Enfin, ce sous-axe a pour ambition de développer une vision réflexive du travail d'enseignant-chercheur et chercheur au travers de ces enjeux environnementaux : comment faire de la recherche et de l’enseignement dans une période de crises environnementales ? Comment nos pratiques scientifiques et pédagogiques relaient-elles ces préoccupations, et avec quelle distance critique ?

4. La fabrique des territoires au prisme de la relocalisation du politique

Cette section propose d’articuler les réflexions autour des registres et des modes d’action publique et politique, particulièrement à travers les enjeux d’aménagement en intégrant et mobilisant les approches critiques comme grille de lecture des nouvelles logiques de production, d’imposition et de négociation des dispositifs techniques et spatiaux : community organizing, urbanisme non spatialiste, qui se concentre sur l’espace social et non plus directement sur les formes urbaines, périurbaines et rurales versus un aménagement intégrateur, urbanisme politique et participatif, ou encore l’urbanisme hors projet qui s'oppose à la technocratie. 

Interactions acteurs publics-privés dans la fabrique des territoires

Ce sous-axe aborde la relocalisation du politique de façon plus ouverte que les précédents, tant du point de vue de la gamme des acteurs concernés (par rapport au sous-axe 2 focalisé sur l’expertise citoyenne) que de la thématique (par rapport au sous-axe 3 centré sur la question environnementale). À côté des traditionnels acteurs publics de la production de l’espace, il s’agit de prendre aussi en charge les acteurs privés (ex. la gouvernance entrepreneuriale) dont les stratégies participent des logiques d’aménagement à l'exemple des logisticiens (N. Raimbault), des acteurs de l'immobilier commercial (A. Gasnier), des opérateurs touristiques (P. Duhamel, H. Pébarthe-Désiré), jusqu'aux espaces de vente d'occasion (S. Bacconnier) et du processus de relocalisation dont nous voulons faire état : essaimage des tiers-lieux (G. Baudelle ; G. Krauss ; V. Billaudeau), régénération urbaine et économique des centres-villes (L. Guillemot) et restructuration des zones d'activités suburbaines (A. Gasnier),  patrimonialisation (E. Salin), dérégulation (I. Garat) etc. La prise en charge dans notre réflexion des logiques économiques impose de ne pas se limiter aux acteurs privés (les espaces de travail collaboratifs sont aussi initiés par la puissance publique) pour intégrer également les stratégies économiques des pouvoirs publics et leurs dimensions spatiales (cf. axe 1) : remunicipalisation des services publics de l’eau (E. Hellier), remédiation commerciale des politiques publiques locales (A. Gasnier), énergie  (C. Emelianoff), déchets (M. Durand), cantines scolaires, territorialisation des services de soins et médicaux  (S. Fleuret), accès internet etc.

Théories critiques de l'urbain et de l'aménagement : éclairer la relocalisation du politique

Dans l’objectif d’aborder autrement les enjeux d’aménagement, il s’agira également de questionner les expérimentations, les récits et les formes de communication (matérielles, symboliques et numériques) auxquels les opérations donnent lieu et qui révèlent les dimensions actorielles à l’œuvre. Quelles sont ainsi les pensées, impensées (marges, interstices) et formes imposées de la production territoriale/urbaine (C. Devaux ; C. Marie-dit-Chirot ; S. Gaudin) ? Il s’agit aussi d’appréhender les logiques de contestation, de négociation et les oppositions/résistances (P. Bergel ; I. Garat) faisant apparaitre la nécessité de mobiliser des grilles de lectures se référant aux théories critiques de l'urbain et de l'aménagement et questionnant directement les processus de dominations - spatiale et sociale (A. Margier ; N. Raimbault ; J. Rivière) et leurs diverses expressions dans le champ des pratiques professionnelles architecturales (E. Geisler) et paysagistes (F. Romain). La fabrique des territoires est dès lors le lieu de mise en récit de politiques locales, en tension entre des injonctions d'expérimentations et des résistances de plus en plus prégnantes (H. Bailleul). Comment cet enjeu circule dans les politiques d'aménagement ? Comment est-il approprié par les acteurs aménagistes ? Ce sujet pourra être éclairé autant par des approches empiriques que par des entrées théoriques qui renouvellent les cadres de lecture des politiques urbaines (B. Montabone).