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Production et hiérarchisation des mondes sociaux : vers un dépassement des paradigmes ? (2022-2027)

Les travaux menés dans cet axe interrogeront prioritairement les processus de production et de hiérarchisation des « mondes sociaux » au prisme de leur dimension spatiale, cette notion renvoyant plus largement à une perspective de dialogue interdisciplinaire entre géographes et sociologues notamment. Par ailleurs, les « paradigmes » doivent être entendus au sens large comme des modèles ou des schèmes de représentation du monde social, ces schèmes pouvant être liés à des identités disciplinaires ou à des courants théoriques. Le projet de l’axe vise à questionner les paradigmes de « transition », de « différenciation » et de « transmission » pour affiner ce qui fait débat et ce qui fait consensus aujourd’hui au sein d’ESO concernant les processus de co-production des espaces et des groupes sociaux.

Le premier sous-axe interroge ainsi les modes de production – notamment économiques – de l’espace contemporain, au travers de la transition socio-environnementale comme paradigme d’interprétation de l’évolution de ces modes de production. Le deuxième sous-axe met l’accent sur les mécanismes de différenciation et de hiérarchisation des espaces, en interrogeant pour cela les processus de division sociale de l’espace et les logiques de catégorisations des espaces et des groupes sociaux (méthodes, outils, entrées théoriques mobilisées). Le troisième sous-axe investit les processus de médiation entre différents univers sociaux : dans l’enseignement, la transmission, l’innovation et l’accompagnement des publics étudiants, en s’intéressant aux formes de circulations et de médiations des savoirs et en prenant en compte les enjeux de la médiatisation et des « terrains en ligne ».

1. Modes de productions de l’espace dans la transition

Dans quelle mesure la production de l’espace et des sociétés doit-elle être pensée en termes de transition ? Sans chercher à revendiquer un positionnement proche des transitions studies, l’axe propose de mobiliser au contraire ses compétences disciplinaires et sa capacité d’ouverture interdisciplinaire pour envisager les nouvelles théories et les nouveaux objets au cœur de cette transition, principalement autour des enjeux socio-économiques et environnementaux (mobilités, logement et habitat, tourisme, agriculture et alimentation, espaces protégés et relations au vivant etc.). Cela permettra de se saisir également de la production des nouvelles configurations spatiales préfigurées par ces dynamiques de transition et de la production des futurs en tant que projection de nos sociétés vers d’autres organisations socio-spatiales (A. Morel-Brochet, V. Jousseaume, P. Boudes).

Les transitions : écologie, modernité, individu et bien commun

La transition alimente la production de l’espace tant au niveau global que local, tant dans le registre des pratiques que dans celui des idées. Il s’agit d’abord d’une transition écologique, qui prend la relève du développement durable dans l’articulation du trio société, nature, économie (J.-B. Bahers, B. Quenault) et dans le dépassement de la dichotomie humain-non-humain (A. Atlan, V. Van Tilbeurgh, F. Joliet). Il s’agit ensuite d’une volonté de transformer la modernité pour la rendre davantage réflexive – c’est-à-dire que la production de l’espace et de la société est constamment traversée par de nouvelles informations et de nouvelles incertitudes, de nouveaux mouvements, qui vont redéfinir les formes et les dynamiques-mêmes de cette production (P. Boudes, M. Marie, I. Garat). Il s’agit enfin d’une légitimation des mobilisations individuelles et collectives, c’est-à-dire que la production est non seulement collective mais encore immanente à chacun : il y a co-production, par une multitude d’acteurs, mobilisant une diversité de référentiels, au service d’ambitions relevant tant du bien commun que de la différenciation (A. Atlan, Y. Le Caro, C. Emelianoff, X. Michel). Ce premier volet de l’axe 1 abordera ces transitions socio-écologiques, mobilitaires et énergétiques, de manière croisée pour renouveler l’analyse des objets portés par l’UMR.

Transition et système économique

Le second volet permet d’aborder la question de l’économie dans la production matérielle de l’espace et des sociétés. Cela est justifié par deux raisons principales : à la fois parce que les dynamiques économiques sont au cœur de nos sociétés, dans leurs cultures et leurs configurations et parce que les approches de l’axe ciblent régulièrement ces enjeux, au niveau micro – avec la consommation matérielle, les évolutions des pratiques, l’échange - par exemple dans le domaine des études touristiques (H. Pebarthe-Désiré, P. Duhamel, P. Violier), l’économie solidaire et sociale (E. Bioteau, R. Gaillard, V. Billaudeau), la respatialisation de l’économie par sa localisation (A. Gasnier, L. Guillemot) – mais surtout aux niveaux meso et macro en mobilisant des approches sur le poids des systèmes économiques dans la production de l’espace et des rapports sociaux (F. Laurent, P. Madeline, N. Raimbault), ou des entrées critiques sur les biens communs environnementaux (S. Caillault, M. Tsayem-Demaze) et sur la tendance à intégrer la transition non plus dans le système économique mais bien l’économie dans une transition, portée par des échanges interdisciplinaires dans lesquels l’axe va s’investir.

Une nouvelle trajectoire ?

Le troisième volet sera spécifiquement dédié aux enjeux des transitions agricoles et alimentaires. Il s’agit d’un thème fédérateur pour l’UMR, qui a pris de l’ampleur notamment via les travaux sur les questions alimentaires. Circuits courts, résilience alimentaire, agriculture urbaine, conflits liés à l’élevage, évolution des paysages : les dynamiques actuelles reconfigurent largement les territoires, l’espace et la société (C. Margetic, C. Darrot, V. Van Tilbeurgh, M. Marie, M. Bermond, P. Guillemin). Les modalités de production de l’alimentation, l’approvisionnement individuel ou collectif, l’organisation des acteurs des mondes agricoles et des systèmes alimentaires, tout cela participe à un renouvellement des modes de production de l’espace et dessine une nouvelle trajectoire laquelle, si elle s’inscrit pleinement dans la transition écologique évoquée, en est également une synthèse puisqu’elle rassemble les composantes thématiques de celle-ci : énergie, gouvernance, transmission et redéfinition des connaissances, agronomie, paysage, appropriation sociale et implication spatiale.

2. Questionner et représenter les hiérarchisations sociales dans l'espace

L'intersectionnalité des rapports sociaux de domination en question

Si la géographie sociale française s’est d’abord attelée à l’analyse des rapports « socio-spatiaux » en centrant le regard sur les rapports sociaux de classe dans la tradition marxisante de l’époque, la discipline s’est ouverte depuis les années 1990 aux questions de genre et de rapports sociaux de sexe, et plus récemment aux enjeux de « racisation », à la faveur de la réception de travaux anglophones, notamment en géographie culturelle. Dans le prolongement de ces travaux, avec l’ambition d’éclairer la diversité des formes et des effets des rapports sociaux de domination, et dans l’approfondissement des travaux et manifestations scientifiques du contrat quadriennal précédent (séminaires, colloque 2019), des recherches porteront sur la dimension spatiale des rapports sociaux de « race » (C. Arab), d’âge (I. Danic), de handicap (B. Chaudet, E. Gardien) et de classe. C’est notamment la question – au cœur des controverses en sciences sociales – de l’intersectionnalité et de l’imbrication de ces différentes inégalités et rapports de domination qui sera posée. En cela, ces recherches seront attentives aux modes de catégorisation et de classement des individus et des groupes comme aux manières de qualifier les espaces géographiques, les mots pour les désigner et les nommer participant pleinement des processus de hiérarchisation.

Continuer à étudier les ségrégations et divisions sociales de l’espace

Une des manières d’opérationnaliser ces questionnements théoriques consiste à travailler sur les formes et processus de différenciations sociales dans l’espace, notamment sur les divisions sociales de l’espace et ségrégations. Les pratiques mises en œuvre par les individus et les groupes pour résister à ces différenciations ainsi que le déploiement de politiques institutionnelles pour lutter contre les ségrégations seront également analysées (voir à ce sujet plus particulièrement le projet de l’axe 3). Les travaux de l’axe poursuivront ainsi l’exploration des mécanismes de polarisations, de fragmentations, de gentrifications, de relégations, de périurbanisations depuis les cœurs des centres urbains (H. Bailleul, P. Bergel, F. Madoré, A. Margier, E. Walker) jusqu’aux mondes périurbains et ruraux (M. Bermond, M. Marie, N. Raimbault), et ce dans les Nords comme dans les Suds (F. Demoraes, V. Goueset, J.-M. Fournier). Comprendre ces mécanismes nécessite de prêter une attention particulière aux marchés immobiliers et aux politiques de logement, aux mobilités et aux transports, à l’aménagement des espaces publics et aux logiques commerciales ainsi qu’aux jeux d’acteurs qui animent ces évolutions et traduisent les rapports de force à l’œuvre dans les différenciations sociales de l’espace. Dans cette perspective, l’axe poursuivra les réflexions sur la dialectique de privatisation / publicisation des espaces (A. Gasnier), clé de lecture et révélateur des mécanismes de différenciation et de hiérarchisation socio-spatiale. Ces questionnements généraux sur les processus de différenciation sociale suivront des problématisations propres aux champs thématiques labourés par les membres de l’axe, par exemple autour des espaces scolaires et du travail qui y a lieu (P. Caro, I. Danic, E. Schneider, J.-F. Thémines), des configurations électorales produites par les divisions sociales intra-urbaines (J. Rivière), ou du spatial mismatch entre lieux d’emplois métropolitains et lieux de résidence du salariat d’exécution du secteur de la logistique (N. Raimbault).

Mesurer les inégalités dans l’espace (et en rendre compte)

Au plan méthodologique et dans une unité où les approches qualitatives sont largement présentes, ces problématiques impliqueront la mobilisation d’outils et de traitements quantitatifs multivariés souvent associés à la tradition méthodologique de l’analyse spatiale (analyses factorielles, typologies automatisées, statistiques spatiales) et qui seront ici mis au service des questionnements des sciences sociales critiques. Les matériaux empiriques seront notamment issus d’analyses secondaires de bases de données de la statistique publique (RGP de l’INSEE, DADS, données fiscales, RGA du Ministère de l’Agriculture, etc.), dont l’accès sera d’autant plus aisé que plusieurs sites de l’UMR (Caen, Nantes) sont impliqués dans la montée en puissance de la TGIR PROGEDO du CNRS, qui a pour mission le développement de la culture des données dans les communautés de recherche en SHS. D’autres recherches pourront s’appuyer par exemple sur les données relatives aux transactions immobilières par exemple (DVF – B. Meriksay, PERVAL – M. Bermond, M. Marie), ou sur celles produites par d’autres institutions qui sont de plus en plus disponibles (mais demeurent sous-utilisées) à la faveur du mouvement de mise en opendata. Enfin et au croisement avec des réflexions en termes de posture sur l’accessibilité et la circulation des savoirs hors des mondes académiques (voir section 1.4 de ce projet scientifique), ce champ thématique constituera un support de réflexion pour travailler sur l’édition numérique à travers la publication d’atlas sociaux récemment lancés (Nantes), en cours (Caen) et en projet  (Le Mans, Angers, Rennes), un « chantier transversal » permettant un partage d’expérience autour de la conception et de la réception médiatique des planches (cartographie d’édition, modes d’écritures…) (S. Loret, L. Pauchard, J.M. Fournier, S. Angonnet, S. Giffon, A. Lepetit).

3. Les médiations entre mondes sociaux : dépasser la transmission

Enseigner, innover, accompagner

La porosité et les circulations entre recherche et enseignement s’opèrent dans les deux sens, en interaction. L’enseignement est une activité régulière inscrite dans le statut des enseignants-chercheurs, mais on peut noter que les personnels ESO non enseignants-chercheurs sont sollicités pour apporter leur contribution spécifique à la formation des étudiants des Universités tutelles de l’UMR ou d’autres établissements (Ecole Centrale de Nantes par exemple) : 7 des 11 chercheurs CNRS ont une activité d’enseignement chaque année, principalement en Master pour des cours de spécialité correspondant à leurs domaines d’expertise. Ils interviennent aussi en encadrement de mémoire et contribuent à proposer des modules actualisés pour les regroupements de masters de l’UMR. Plusieurs IT dispensent des cours et TD dans le domaine de la géomatique et du traitement des données. Au-delà de la part nécessaire de reproduction des disciplines, se dégagent des marges possibles d’innovation ; l’enseignement et la formation sont des « terrains » de renouvellement des objets, des méthodes, des postures de recherche (J.-F. Thémines, M. Hardouin, E. Delamotte).

La soif de connaissances et d’outils de compréhension des processus sociaux ou socio-environnementaux, voire l’attente d’une formation civique d’une part croissante des étudiant.e.s, ouvre pour les personnels scientifiques un espace de réciprocité fécond. Plusieurs questions restent cependant ouvertes : comment mettre en discussion les idéologies/représentations du social et de l’espace portées par les politiques publiques (M. Hardouin, J.-F. Thémines) ? Quel accompagnement des étudiants les plus à distance, socialement, de la fabrique des cultures savantes, afin de lever les malentendus sur les objectifs et attentes d’une formation universitaire et vaincre les inhibitions socialement construites (E. Schneider) ? Plusieurs programmes portés à ESO contribueront à documenter ces évolutions et à les discuter (dont GTNum, Direction du numérique pour l’Éducation - 2020-2022 - Projet ELN – Enfances et Littératies Numériques, coordination A. Cordier). Au total, l’enseignement et la transmission articulant le présentiel et le distanciel renforcent les besoins d’appuyer les approches sociales et culturelles par l’analyse des processus didactiques et médiatiques en jeu. Les recherches pluridisciplinaires de l’UMR seront mobilisées pertinemment à ce titre.

Participation, co-production et traduction des résultats de la recherche

Dans le contexte actuel, la contribution des membres d’ESO à la recherche dans la cité continuera à s’incarner dans des formes de recherche ou de valorisation très variées : accompagnement des personnes en recherche d’emploi , dans le cadre du Plan d'Investissement dans les Compétences - « La Locomotive » 2020-2023 (E. Bioteau, R. Gaillard, M. Roupnel, P. Glémain)[1] ; immersion dans les lieux de vie ou de mobilisation (ANR Gilets Jaunes, 2020, coordonnée par le Centre Emile Durkheim, contributeur E. Walker) ; mise en mots et en textes de théâtre d’une partie des verbatim recueillis dans le cadre de l’ANR MIGSAN, en partenariat avec associations socio-culturelles et DRAC (A.-C. Hoyez) ; atelier de cartographie participative en milieux scolaires avec les enfants enquêtés (ANR MOBI’KIDS, S. Depeau, A. Lepetit, B. Mericskay) ; événements culturels partagés autour des usages du littoral (collectif Sciences Frictions, A. Atlan).

L’approche participative est revendiquée par de nombreux travaux doctoraux et par des formations de Master (médiation, participation…). Par exemple dans la thèse financée à partir de 2020 par la Région et le Ministère sur « La qualité de l’environnement résidentiel et l’inclusion spatiale des personnes handicapées », le maintien ou l’acquisition de l’autonomie en milieu « ordinaire » est abordée par le biais de la « marchabilité » des espaces résidentiels (F. Madoré, B. Chaudet, C. Lamberts).

Une partie des doctorant.e.s de l’UMR s’interroge par ailleurs sur les conditions pour appliquer et transférer les travaux de recherche, en lien avec une appétence personnelle du.de la doctorant.e, une formation initiale professionnalisante ou un financement doctoral fléché (collectivité/association/entreprise). Ce type de démarche ancrée, d’observation fine et de méthodologies mixtes (quanti et quali) fait partie de « l’ADN » d’ESO qui, depuis sa création, a promu des modalités de recherche en prise avec les sociétés et les territoires, telle l’initiative fondatrice des « Observatoires des changements sociaux », que des doctorants du site ESO de Caen réactivent en Normandie (Domfrontais).

Simultanément, la science participative (ou science citoyenne) en tant que telle, est encore assez peu intégrée aux méthodologies de collecte d’information ou de production de matériau à ESO, comme en SHS et à la différence des sciences écologiques par exemple. Néanmoins, les dispositifs de participation, du type open street map, cartes participatives lancées par des collectifs ou par des acteurs publics, sont étudiés par les chercheur.e.s, pour être confrontés, au service d’une question de recherche (B. Mericsklay, G. Bailly sur la mobilité partagée ; G. Molina sur l’adaptation au changement climatique en ville, SENTICLIMAT, RnMSH, 2020-2022 ; S. Caillault sur les observateurs naturalistes LPO). La participation des enquêtés à la co-production du matériau et les allers-retours entre enquêtés et chercheurs sont fréquemment pratiqués, et une première expérience de grande ampleur a été menée par C. Darrot et G. Maréchal en temps de Covid19 sur les pratiques d’approvisionnement alimentaire en France, reposant sur une collecte de témoignages dans le cadre d’un frama[2].

L’explicitation et l’objectivation sont nécessaires au vu de l’accélération de la temporalité des pratiques de recherche, de la redocumentarisation des contenus à l’œuvre dès qu’il y a publication en ligne, de l’évolution de la valeur sociale du travail de vulgarisation scientifique et de l’inévitable inscription dans des controverses. Cette construction/participation à des controverses en ligne demandera de questionner les processus de traduction des résultats de la recherche vers la société civile, le rôle que les chercheur.e.s jouent explicitement ou non dans les transactions à l’œuvre pour une participation au débat public.

Médiation et médiatisation

Le bilan a mis en évidence l’activité intense et démultipliée des membres d’ESO dans les débats sociaux relatifs aux inégalités de conditions de vie, aux rapports genrés dans l’espace public, à la géographie électorale, aux enjeux de mobilités, aux tissus éducatifs, aux espaces de collaboration et d’entraide, ou encore à la place de l’alimentation, du vivant et des valeurs écologiques dans l’aménagement des espaces.

Les choix des lieux d’expression, les modalités de communication renouvellent le questionnement sur l’éthique et l’engagement des chercheur.e.s. Si la construction des savoirs et les positionnements des individus sont culturellement et politiquement ancrés, il est nécessaire d’étudier les processus et les objets qui les affectent en fonction des environnements médiatiques contemporains (E. Schneider, A. Cordier). De même, la diversité des possibilités de prise de parole, de prise de position des chercheur.e.s face à des questions aux enjeux sociaux et politiques forts demande que soient examinés les parti-pris épistémologiques, le vocabulaire emprunté/mobilisé/refusé, la construction du positionnement lui-même, entre engagement et participation à l’injonction de visibilité et de participation à « l’économie de la recommandation » (V. Deborde). Les postures peuvent être défendues dans le cadre d’événements scientifiques et de publications académiques, par le choix des notions mobilisées et des publics invités. Le type d’objet étudié peut déjà être en soi la revendication d’un « parti-pris » épistémologique ou théorique : définition de l’objet, formulation de la problématique, usage des mots.

En particulier, les logiques économiques actuelles et le développement des outils et des usages du numérique contraignent toutes les dimensions du travail scientifique et demandent aux chercheur.e.s à la fois une veille technologique et politique mais aussi la construction d’une réflexivité critique peu aisée dans un contexte d’accélération générale (S. Loret, M. Plard, J. Rivière, M. Marie, cf. PUD). En effet, la banalisation des outils numériques qu’ils soient utilisés individuellement ou collectivement, d’une part conduit à des recherches appuyées sur des « terrains en ligne » et d’autre part démultiplie les occasions de publication et valorisation des résultats. L’évolution des manières d’accéder au terrain, de le délimiter, de collecter des données sont des questions pour les chercheur.e.s de l’UMR qui souhaitent que soient congruents les principes politiques de mise au jour des inégalités, des discriminations et de contribution à leur réduction (cf. chantier « Quelles compétences numériques et méthodologies collaboratives pour des atlas sociaux multisites ? »). Concernant particulièrement le retour aux enquêtés, les modes de publication en ligne doivent engager une réflexion sur l’espace partagé possible entre chercheur.e.s et enquêté.e.s et ainsi la négociation du sens mais aussi les enjeux d’une circulation des résultats d’enquête en ligne entre exigence d'anonymat et recherche de bénéfices sociaux.

Ainsi, l’engagement du chercheur ne se trouve pas nécessairement dans la visibilité et le spectaculaire d’une exposition médiatique mais aussi dans la rigueur et la qualité relationnelle qu’il a pu instaurer sur ses terrains et avec ses interlocuteurs ainsi que dans la capacité à questionner avec ses pairs ses démarches au fil des évolutions. La médiatisation en ligne affecte par ailleurs les formats, la temporalité, le référencement des publications et interventions dans un contexte de questionnement sur l’expertise et l’autorité. Elle conduit également à de nouvelles vigilances et procédures quant au respect de la RGPD (cf. stratégie générale de l’unité).  La veille scientifique et technique devra faire aussi l’objet de réflexion éthique et méthodologique face aux « gisements d’information numérique ».