La religion comme objet de réappropriation et de reconversions foncières à Tivaoune au Sénégal
Pape Sakho
L'accès à la terre a toujours été une question épineuse et complexe en Afrique où le lien entre l’agriculture, l’élevage, l’habitat reste assez sensible et mal exploité. Cette complexité s’est accentuée avec l’arrivée des occidentaux pendant la colonisation, car ils sont venus avec de nouvelles manières de gérer la terre (lois occidentales). Pourtant sur place, il existait déjà des droits traditionnels que l’on appelle également des lois coutumières qui administraient et attribuaient les terres, afin qu’elles soient exploitées avec un souci d’équité et ce dans la quasi-totalité des sociétés africaines. Ces sociétés africaines de manière générale, et sénégalaises en particulier, ont vécu pour la plupart en autarcie jusqu’à la colonisation européenne. Chaque groupe social était lié à une terre, cette terre qui était sa seule richesse et il l’exploitait collectivement. Les modifications apportées aux institutions juridiques traditionnelles par l’introduction de la notion européenne de propriété individuelle et la substitution progressive d’une économie de marché à une économie de subsistance ont changé les modes d’accès à la terre et amené les sociétés à jongler entre deux lois sur les mêmes terres.
Il est important de souligner que l’acceptation des colons ne s’est pas faite de façon automatique : il y a eu des oppositions entre les sociétés indigènes et les colonisateurs. De ce fait, pour se faire une place dans les sociétés en place et gagner en confiance auprès de la population locale, il a fallu trouver un intermédiaire à savoir ici les chefs religieux qui sont aussi garants des sociétés traditionnelles, depuis avant l’indépendance des États africains. En contrepartie, il a été mis à la disposition de ces guides religieux des terres affectées principalement au Sénégal à l’agriculture arachidière, élément primordial de l’économie locale et occidentale à l’époque. Depuis, ce statut favorable de l’accès à la terre légué aux guides religieux a perduré. Jusqu’à aujourd’hui, au Sénégal, certains leaders religieux gardent une position privilégiée qu'ils exploitent sur tous les plans, notamment politique. Cet engouement est particulièrement ressenti pendant les élections présidentielles. Sur le plan foncier, cela leur permet toujours un accès privilégié à la terre et favorise la mise en valeur de cette dernière avec moins d’intervention de l’État.
Parallèlement, on observe aujourd’hui que la terre a changé de fonction. Il y a une nouvelle appropriation de la terre par une légitimation religieuse. On est passé d’une terre qui servait à l’agriculture à une terre où on construit des lieux saints (mosquées, madrasa, école coranique), pour prier évidement, mais aussi et surtout pour partager du savoir et favoriser des activités rémunératrices. Ainsi, on peut constater au Sénégal, comme dans beaucoup de pays musulmans, que les mosquées sont généralement les premiers édifices humains dans des espaces non-bâtis qui permettent de rendre les lieux attractifs et vivants. Ensuite, les mosquées au-delà du prier-ensemble et du lieu de retrouvaille pour les croyants, de partage de savoir, permettent aux acteurs immobiliers de faire de leur proximité une stratégie d’appropriation pour l’acquisition des terres, et au-delà de spéculer sur les prix des logements. Pour le coup, cela provoque un phénomène de gentrification. Les pauvres sont automatiquement exclus de ces endroits, la proximité des mosquées devient ainsi un espace inhabitable pour les familles modestes et pauvres.
Notre thèse se propose d'étudier tous ces phénomènes complexes autour des liens entre le religieux, les (ré)appropriations et reconversions foncières. Nous analysons plus spécifiquement l’impact de la religion sur le foncier dans une ville ouest-africaine à forte empreinte religieuse : la ville de Tivaouane au Sénégal.