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Catherine Darrot
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Enquête sociologique auprès des agriculteurs planteurs de bocage
Toussaint Marie, Catherine Darrot. Enquête sociologique auprès des agriculteurs planteurs de bocage : Rapport d’étude – Juin 2021. [Rapport de recherche] Institut Agro Agrocampus Ouest - UMR CNRS 6590 ESO. 2021. ⟨hal-03277645⟩
La présente étude a été conduite entre juin 2020 et mars 2021 à la demande du Conseil régional de Bretagne dans le cadre du processus d’évaluation du programme de plantation bocagère Breizh Bocage 2. Il en constitue le volet sociologique, avec pour objectif d’identifier et articuler les facteurs qui président à la plantation, à la rénovation et à l’entretien du bocage par les agriculteurs. L’enquête a comporté deux approches complémentaires Une première approche qualitative a été menée par entretiens dans un échantillon raisonné composé de 16 agriculteurs répartis dans 4 territoires Breizh Bocage aux caractéristiques contrastées. 8 facteurs qui jouent un rôle dans les dynamiques de plantation pour tous les agriculteurs ont été identifiés : 1.Facteurs d’incitation publique et privée 2.Motifs d’implantation des haies 3.Mode de gestion des haies 4.Mode d’entretien des haies 5.Valorisation ou absence de valorisation du bois 6.Etat des haies anciennes et plantées 7.Densité du maillage bocager et position des haies sur l’exploitation 8.Profil professionnel et valeurs de l’agriculteur Puis des portraits idéal-typiques d’agriculteurs ont été dressés en fonction de leur manière de combiner ces six facteurs. Sept idéaux-types d’agriculteurs ont été identifiés, qui résument des formes variées de logiques professionnelles et bocagères :
- 1.Le Pionnier du bocage : un agriculteur qui a défendu le bocage depuis longtemps et plante de sa propre initiative parce qu’il est convaincu. le Pionnier considère que son travail d’agriculteur doit être respectueux de l’environnement et contribuer plus largement à la société
- 2.Le Paysan-Bocager : un agriculteur qui s’inscrit dans un modèle dit « Paysan » dans la mesure où son exploitation est de petite dimension, y compris d’un point de vue économique, éventuellement tournée vers l’auto-consommation ou de petites productions très diversifiées. Le bocage y contribue.
- 3.L’Agrocécolo-Performant : très fortement convaincu par une vision agroécologique telle qu’elle s’est institutionnalisée en France, qui vise la diversité et une mosaïque paysagère (diversification des cultures, allongement des rotations, implantation d’infrastructures, etc.). Discours et pratiques sont sous-tendus par un souci de performance à la fois économique et environnemental.
- 4.Le Bénéficiaire consciencieux : bien installé, propriétaire de l’intégralité de ses parcelles, plutôt en fin de carrière. Il a les moyens de « prendre des risques » donc de planter du bocage ou de remettre des talus. Il est motivé par la plus-value que le bocage peut apporter (cession de l’exploitation, passage en bio), respect d’un cahier des charges exigeant)
- 5.Le Conventionnel précaire : précaire économiquement, techniquement et du point de vue de son autonomie de décision. Son bocage est subordonné à d’autres priorités liées à l’urgence économique et au fait qu’il est débordé. Le bocage doit être facile, rapide, ne pas gêner, ou être abandonné. La réglementation apparaît comme le facteur primordial d’implantation des haies, l’obligation de compensation accompagnant l’arasement ou le déplacement d’une haie l’incite à planter
- 6.Le réfractaire : le bocage constitue exclusivement une contrainte : les arbres encombrent l’espace, limitent le maniement des machines agricoles encombrantes et les rendements obtenus aux abords des frondaisons. Leur entretien mobiliserait un temps qu’il préfère investir dans des tâches réellement productives ou dans l’administration complexe de son exploitation, l’usage du bois ou sa vente ne lui étant par ailleurs d’aucune nécessité. Il est soit producteur industriel de légumes de plein champ, soit céréaliculteur. S’il est aussi éleveur, les animaux sont maintenus en bâtiment.
- 7.L’Hologramme du planteur marchand de plaquettes : hologramme car il s’agit de la projection en grand d’une image diffractée (elle nous a été beaucoup racontée mais nous ne l’avons pas vue sur le terrain) d’un petit objet (car l’enquête par questionnaire révèle que ce profil est vraisemblablement très minoritaire parmi les planteurs). Ce serait un agriculteur-planteur qui aurait intégré les haies bocagères (anciennes et nouvelles) à son exploitation et qui valoriserait économiquement le bois dans une filière semi-industrielle de bois de chauffage (ou de BRF) sous forme de plaquettes.
En attendant d’être exploitées (pour la production d’énergie), les haies sont multifonctionnelles. La haie intéresserait le marchand de plaquettes en tant que nouveau produit hybride : à la fois agricole et forestier, une production supplémentaire à part entière. Les idéaux-types ainsi dressés ont été présentés à 18 animateurs Breizh Bocage lors de deux séances collectives, qui ont permis d’établir des ordres de grandeur de la représentation de chaque attitude idéal-typique dans chaque territoire Breizh Bocage. Une seconde approche, par questionnaire, a été menée auprès d’un échantillon de 3207 agriculteurs bretons et qui a recueilli 270 réponses. 35 des 42 territoires couverts par Breizh Bocage 2 sont représentés dans l’échantillon, auxquels s’ajoutent 3 zones blanches. L’objectif était d’explorer, à l’échelle régionale, les liens statistiques entre une variété de pratiques de plantations et d’entretien du bocage et les profils des agriculteurs et de leurs exploitations. Les répondants à cette enquête sont majoritairement des planteurs de bocage (59% des répondants) alors que ceux-ci représentent moins de 20% des agriculteurs bretons : l’enquête n’est donc pas représentative des agriculteurs bretons en général, mais plutôt de la sous-population spécifique des planteurs de bocage. 184 des répondants soit la grande majorité (67,89%) pratiquent l’élevage bovin (seul ou en polyculture/polyélevage). Une majorité (72%) des éleveurs de notre échantillon a fait le choix de conduire leur exploitation en système herbager. La proportion d’agriculteurs bio est importante : près de la moitié des répondants, soit 45%, déclarent pratiquer l’agriculture biologique contre seulement 12,6 % des agriculteurs bretons, ce qui constitue une caractéristique forte de cette population de planteurs de bocage. On note une forte représentation de la Confédération paysanne au sein de notre échantillon : 19% des répondants déclarent être syndiqués à la Confédération paysanne contre seulement 9% des votes en faveur de ce syndicat aux élections des Chambres d’Agriculture de Bretagne en 2019. Les adhérents de la Fédération syndicale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) et des Jeunes agriculteurs (JA) représentent 26% de notre échantillon, contre 21% des agriculteurs bretons. Le syndicat Coordination Rurale est à l’inverse très peu représenté puisqu’il représente seulement 1% de notre échantillon. On a donc un échantillon plutôt politisé par rapport à la population agricole bretonne. Près de la moitié, soit 49%, adhère à des réseaux associatifs et groupes de développement (bio, civam), ce qui à nouveau n’est pas représentatif de la population agricole bretonne et caractérise spécifiquement les planteurs de bocage. Le niveau d’études des répondants est en revanche plutôt représentatif des agriculteurs bretons : 52% de l’échantillon a un niveau BAC+2/3, soit le niveau d’un BTS ; et 26% a le niveau BAC. On observe une portion plus faible de femmes dans l’échantillon : seulement 13%, alors qu’elles représentent 31% des actifs agricoles en Bretagne. Un profil-type de planteurs de bocage se dégage. La majorité des haies plantées le sont sur des parcellaires dont les exploitants ne sont pas propriétaires mais locataires : le fait d’être propriétaire foncier n’incite pas particulièrement à planter davantage. La majorité des linéaires plantés, soit 70%, a été plantée sur des parcellaires éclatés : disposer d’un parcellaire groupé ne semble pas jouer sur la décision de planter (ou a contrario un parcellaire éclaté n’est pas un obstacle). Les agriculteurs nouvellement installés (moins de 10 ans de carrière) sont plus nombreux à recourir au programme ; cependant leurs plantations sont modestes car la surface qu’ils exploitent est en moyenne plus petite. Les agriculteurs disposant de la capacité professionnelle plantent davantage. Les agriculteurs syndiqués à la Confédération Paysanne plantent nettement plus que les autres. L’appartenance à des réseaux et groupes de développement est liée au fait de planter et a une influence positive sur la dynamique de plantation. Les éleveurs d’animaux pâturants (bovins et ovins, caprins et équins) et les polycultivateurs-polyéleveurs et polyéleveurs plantent davantage que les autres. Par ailleurs, en moyenne de mètres linéaires plantés au cours de la carrière, les agriculteurs bio plantent beaucoup plus que les agriculteurs conventionnels et ce quelle que soit l’OTEX (à l’exception de l’OTEX porcins). On peut en déduire également que le programme Breizh Bocage 2 a massivement profité aux éleveurs bios. Les linéaires les plus longs sont entretenus avec des outils manuels (dont la tronçonneuse). On peut en déduire que le fait de planter d’importants linéaires de haies n’implique pas nécessairement de recourir à de gros outils tels que le lamier. La majorité (70%) des agriculteurs-planteurs déclarent valoriser le bois issu de l’entretien des haies. La production de bois-bûche est de loin la première destination du bois (86%). Elle est suivie (et fréquemment accompagnée) de bois de service (39%) et de fagots (34%). Les usages plus modernes sont plus modestement cités : 24% citent les plaquettes (bois-énergie) et 24% le BRF. Une faible part de ces différentes formes de valorisation est vendue. La production de bois issus des haies est avant tout une production d’autoconsommation. Les trois raisons le plus fréquemment évoquées par les agriculteurs dans cette enquête pour l’implantation de néo-haies sont : la protection des animaux, la protection des animaux et des cultures contre le vent et la préservation d’un patrimoine social et paysager. Les systèmes productifs orientés vers d’autres modèles que l’élevage pâturant (bio ou pas) sont moins enclins à préserver le bocage, voire y sont opposés. Deux leviers sont possibles pour favoriser des dynamiques bocagères à l’égard de ces agriculteurs : des politiques volontaristes de réorientation de leurs systèmes vers davantage de pâturage s’ils sont éleveurs, ce qui entraîne la nécessité de haies pour le confort animal ; ou des politiques coercitives imposant la replantation même si celle-ci n’est pas nécessaire au système de production voire opposé à celui-ci (ce qui est le cas en céréaliculture avec ou sans élevage confiné en bâtiment, et en production industrielle de légumes de plein champ). Les dynamiques régionales conduisant aux élevages spécialisés et intensifs en bâtiment, avec un foncier occupé par des cultures fourragères de conserve et des SCOP induisent la dégradation du bocage, qui n’a pas de raison d’être dans ce type de paysages agricoles. L’entretien repose sur un réseau D’un point de vue administratif et règlementaire, les agriculteurs sont considérés comme les seuls gestionnaires de leur bocage. Qu’ils soient propriétaires ou locataires, c’est à eux que revient la charge de cette gestion. Cette prise en charge pèse fortement sur les agriculteurs, même lorsqu’ils sont des planteurs spontanés et enthousiastes. Les agriculteurs que nous avons rencontrés ont, dans leur grande majorité, exprimé ne pas prendre complètement en charge l’entretien de leurs haies. Ils délèguent en partie l’entretien, certains délèguent même complètement ce travail. Beaucoup d’agriculteurs sont donc en demande d’appui à la gestion de ce bocage, et la plupart d’entre eux ont déjà recours à des tiers (la famille/les voisins, les CUMA, les ETA), mais sans que cette gestion collective du bocage ne soit vraiment reconnue comme telle. Les divers témoignages recueillis à travers les deux enquêtes font plutôt état d’un besoin de mise en réseau à une petite échelle entre trois types d’acteurs : les agriculteurs « propriétaires » des haies et du bois, les acteurs de l’entretien (parfois des agriculteurs, mais plus généralement des ETA et CUMA ; et les collectivités) et les consommateurs qui peuvent être de simples voisins achetant une stère ou deux de bois-bûche par an. La diversité des idéaux-types encourage à envisager une différenciation de l’offre de services proposée par Breizh Bocage, afin de rassembler des chances de succès auprès d’un panel plus large d’agriculteurs Le détail de l’analyse montre que cette vaste population de planteurs présente des logiques et des besoins d’accompagnements hétérogènes : une politique unique semble moins bien adaptée qu’une politique différenciée. Cela nous invite à suggérer que : l’accompagnement ne doit pas être seulement technique : une animation de territoire, un appui à l’auto-organisation des agriculteurs. Par ailleurs les résultats montrent que le facteur limitant le présent et l’avenir du bocage est moins le moment et les moyens de la plantation, que la prise en charge de son entretien dans la durée : l’effort et le temps d’entretien, qui constituent une charge régulière et dans la durée, sont bien plus souvent mentionnés comme des limites que la plantation elle-même lors des témoignages recueillis par entretien et lors de l’enquête (la plantation étant appréhendée comme un moment bref, éventuellement gratifiant). Cela nous invite à suggérer que l’intervention publique en faveur du bocage devrait inclure un appui à l’entretien, voire, pour certains profils, chercher à en décharger l’agriculteur.
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