Depuis le rapport du club de Rome (1972) qui a exposé le changement climatique et la finitude des ressources comme des « limites à la croissance », les sociétés évoluent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les rapports du GIEC détaillent la pression des activités humaines sur les écosystèmes, dont la dégradation des sols (GIEC, 2019). La solution préconisée par les scientifiques est de réduire cette pression en décarbonant l’économie. Dans ce sens, l’adoption du pacte vert européen en 2019 par l’Union Européenne fixe l’objectif de la neutralité carbone à horizon 2050 et promeut une croissance juste et dissociée de l’utilisation des ressources (CE, 2019).
La bioéconomie, notion développée par l’ecological economics qui prône l’insertion de l’économie dans la biosphère (Froger et al., 2016), a émergé de l’agenda de l’OCDE puis de l’Union européenne (Puhan, 2018) avec comme objectif la substitution des ressources fossiles par l’exploitation de la biomasse. L’exploitation et la relocalisation éventuelle des flux de biomasse impliquent des processus de co-construction de l’action publique qui intéressent la recherche. Il s’agit d’étudier les modalités de l’action publique en tant que dimension politique de la bioéconomie. L’évolution des préoccupations environnementales et la diffusion de l’économie circulaire comme paradigme politique, font du « déchet » un enjeu de société dont la gestion et la prévention sont progressivement misent à l’agenda.
En France, la législation oblige les générateurs à trier et valoriser leurs biodéchets (énergie ou retour au sol) en abaissant peu à peu les seuils (120 tonnes/an en 2012, puis 10 tonnes/an en 2016) alors que les pratiques d’épandages des biodéchets agricoles sont encadrées depuis 2002 sur la base de diagnostics des sols. La règle influence donc les pratiques (Bahers, 2018) d’acteurs très variés selon leurs origines (ménages, industriels, agricoles, collectivités) ou leurs activités (culture, élevage, agroalimentaire, assainissement). A horizon 2025, la LTECV (2015) amènera la généralisation du tri à la source pour tous les producteurs de biodéchets, notamment les habitants.
En Pays de la Loire, la région ayant récupéré la compétence de planification des déchets en 2015 par la loi NOTRe, elle se positionne comme un acteur de la « bioéconomie circulaire » dans l’optique d’animer les relations entre filières sociotechniques de valorisation des biodéchets et territoires. Cette structuration des filières en cours et à venir est vue en comme une opportunité pour la Région qui s’interroge : la bioéconomie circulaire peut-elle constituer un levier de développement territorial en Pays de la Loire ? Une entrée par le concept de métabolisme territorial (Barles, 2010) de la biomasse permet d’analyser, par le biodéchet, l’évolution des rapports entre sociétés et environnement. En quoi l’étude du métabolisme révèle-t-elle des flux, modes de gouvernance et pratiques capables d’expliquer les relations entre filières de valorisation des biodéchets et territoires ?
Il est central de situer la recherche par rapport aux champs scientifiques de la Political-Industrial Ecology (Newell, 2015), l’Écologie territoriale ou la Socio Metabolic Research (Haberl, 2019). La recherche interroge les relations entre les filières sociotechniques de biodéchets (épandage, plateformes de compostage, compostage de proximité, méthanisation, incinération, enfouissement) et les territoires. Une lecture relationnelle des filières (Pierrat, 2014) donne à voir la coordination, les interactions et les concurrences entre les acteurs ainsi que leur inscription dans l’espace. Enfin, l’agriculture est amenée à jouer un rôle croissant dans le retour au sol des biodéchets, donc dans la structuration de cette « bioéconomie circulaire ».
Pour vérifier ces hypothèses, la méthodologie adopte une démarche participative pour l’étude des pratiques agricoles, les logiques des agriculteurs étant complexes et dépendantes de dimensions techniques, économiques et culturelles (Laurent, 2015). Elle se compose d’observations indirectes via des études de flux, la constitution d’une base de données cartographiées, des entretiens semi-directifs et des observations directes au sein du service « économie circulaire » du conseil régional Pays de la Loire et sur les territoires. La recherche se concentre sur les formes de relations entre filières de valorisation des biodéchets et territoires par une analyse comparative de trois terrains : Île d’Yeu, Les Mauges et Sablé sur Sarthe.