De la station à la destination – La requalification touristique d’un territoire thermal au prisme de sa capacité politique
Adrien Sonnet, Ludovic Lestrelin. De la station à la destination – La requalification touristique d’un territoire thermal au prisme de sa capacité politique. Approche interdisciplinaire du thermalisme et des villes thermales. Exploitation de la ressource "eau", patrimonialisation, adaptabilité du milieu, Institut de Géographie, Dec 2024, Paris, France. ⟨hal-04809603⟩
Pour les villes thermales, les décennies 1990 et 2000 constituent une séquence marquée par d’importants bouleversements. Organisées autour de l’accueil massif et régulier de curistes « conventionnés », majoritairement âgés et souffrants, dont les soins sont pris en charge par la Sécurité sociale, elles voient ce modèle progressivement remis en question par l’État et le monde médical. N’ayant pas perçu l’intérêt de moderniser leurs installations ni leur offre, elles sont par ailleurs concurrencées par d’autres lieux spécialisés dans la prise en charge corporelle tels que les centres de thalassothérapie. Enregistrant un tassement puis une nette et durable chute de fréquentation, elles entendent alors limiter leur dépendance au thermalisme social en (ré)investissant le marché touristique de la santé (Montargot, Férérol, 2016). Or, la réussite d’une telle entreprise ne va pas de soi. Faire évoluer l’offre et l’image d’un territoire nécessite au contraire que les actions de communication, de promotion et de développement soient cohérentes et se renforcent mutuellement. Cela implique coopération et coordination stratégique entre quatre catégories d’acteurs locaux : politiques, économiques, médicaux et institutionnels (Houllier-Guibert, Miriel, 2018). À partir d’une enquête qualitative menée à Bagnoles de l’Orne Normandie – croisant entretiens semi-directifs (n = 30), analyse des archives municipales et de la littérature grise produite par et sur la filière –, nous proposons d’étudier la requalification touristique de la ville par le prisme des évolutions de sa « capacité politique ». Proposée par Romain Pasquier (2017) dans le prolongement des travaux portant sur les « régimes urbains » (Stone, 1989 ; Stoker, Mossberger, 1994), la capacité politique d’une ville peut être définie comme un « processus de définition d’intérêts, d’organisation et de coordination de l’action collective qui permet à des institutions et à des groupes d’acteurs publics et/ou privés de réguler des problèmes collectifs sur un territoire donné ». Étudier le modèle de développement touristique d’une ville sous cet angle revient ainsi à analyser les ressources institutionnelles (financières, juridiques), économiques (eau thermale, patrimoine architectural et/ou naturel, etc.) et autres dynamiques relationnelles (créations de coalitions d’acteurs, gouvernance multi-niveaux) qui pèsent sur la mise en œuvre et l’efficacité des stratégies déployées. Après avoir souligné combien la crise vécue à Bagnoles de l’Orne est d’autant plus forte qu’elle se double, jusqu’au tournant des années 2010, d’une crise de gouvernabilité, nous reviendrons, dans un premier temps, sur les fondements matériels et symboliques à partir desquels les élus locaux parviennent à rassembler les acteurs économiques de la ville au sein d’une coalition censée favoriser la création d’un « territoire de bien-être ». Dans la mesure où la réussite d’un tel projet nécessite d’augmenter les ressources institutionnelles (des efforts budgétaires, notamment) et d’activer d’autres ressources que l’eau thermale (en particulier en capitalisant sur la forêt environnante pour nourrir le récit territorial), nous concentrerons l’analyse, dans un second temps, sur la capacité des élus à élargir progressivement la coalition à une échelle territoriale plus vaste, tout en ménageant la confiance gagnée auprès de leurs partenaires et en protégeant leur pouvoir de réguler l’action.