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Rapports de classe dans un espace insulaire touristifié
Mathieu Uhel. Rapports de classe dans un espace insulaire touristifié. Environnement(s) et Inégalités, Association Française de Sociologie, Jul 2025, Toulouse, France. ⟨hal-05158923⟩
A l’instar des littoraux bretons, la mise en tourisme de Belle-ile-en-mer a renforcé la transformation des rapports de classe dans cet espace social local (Bruneau et al., 2018), historiquement tourné vers les activités halieutiques et agricoles. Cette attractivité renouvelée (Buhot, 2006) a eu pour conséquence de générer des tensions, concurrences et conflits pour l'appropriation de l'espace (Ripoll et Veschambre, 2006), et plus particulièrement pour l’accès au logement. Selon les données récentes de l’INSEE (Cazenave et Lardoux, 2024), le parc de logement à Belle-ile-en-mer est composé à plus de la moitié de résidences secondaires (jusqu’à près de 70% pour Locmaria, l’une des quatre communes de l’ile), dont plus de 50% des propriétaires disposent d’un revenu annuel supérieur ou égal à 60°000 euros (contre 36% pour l’ensemble de la région bretonne). Cet embourgeoisement de l’ile participe à l’inflation immobilière qui réduit l’offre de biens à la location ou à l’achat destinée aux classes populaires, dont les emplois sont pourtant nécessaires à l’économie de villégiature. Ce processus de gentrification atypique des « volets fermés » (collectif Douarnenez, 2023) est accentué par le développement des meublés touristiques ces dernières années via les outils dématérialisés du capitalisme de plateforme. Par ailleurs, en raison des contraintes géographiques propres aux espaces insulaires, les classes populaires ne peuvent pas recourir à des stratégies de repli résidentiel comme dans les communes rétro littorales bretonnes (Brieuc et Bisson, 2024). Face à la configuration d’un « espace contradictoire » (Marie Dit Chirot, 2017), la communauté de communes de Belle-ile-en-mer a pris des mesures visant à favoriser l’habitat à l’année et le logement des travailleur.ses sainsonnier.es. Outre la construction de logements sociaux et l’augmentation de la taxe sur les résidences secondaires, les élu.es ont récemment adopté des règlements municipaux permettant de limiter drastiquement la location des meublés touristiques : au-delà d’une location autorisée par foyer, toute unité supplémentaire mise en tourisme doit être compensée par un logement proposé à un.e résident.e à l’année. L’objectif de cette proposition de communication est de présenter les ambitions (et les premiers résultats) d’une recherche portant sur les rapports sociaux de classe dans une espace insulaire touristifié. En associant observations et entretiens, la démarche ethnographique souhaite plus particulièrement être attentive aux circulations et trajectoires socio-résidentielles d’habitant.es multisitué.es, entendu.es comme des acteur.trices « ordinaires » de la gentrification. L’enquête vise tout d’abord à appréhender les positions de classe qui se cristallisent autour de la régulation des meublés de tourisme, entre une bourgeoisie rentière multipropriétaire et des élu.es s’érigeant en défenseur.ses des résident.es permanent.es et des travailleurs saisonnier.es. Il s’agit ensuite d’observer les modes de (co-)habitation dans l’espace social local durant les périodes de forte affluence, qui mettent en coprésence des résident.es secondaires, fortement doté.es en capitaux économiques et culturelles, et des résident.es permanent.es, détenteur.trices d’un capital symbolique adossé/articulé à un capital social (Ripoll, 2023). Entre l’échelle insulaire où s’exprime le conflit pour l’appropriation légitime de l’espace et l’échelle micro locale où s’agencent des formes de coexistence, de coopération voire d’alliance entre classes sociales, la recherche s’attache enfin à analyser sur le temps long la trajectoire socio-résidentielle d’ilien.nes issu.es des classes populaires. Pour certain.es d’entre eux et elles, leur ascension sociale s’est opérée au prix d’une mobilité géographique sur le « continent », les amenant au cours de leur carrière professionnelle à valoriser le(s) bien(s) immobilier(s) hérité(s) sur l’île, participant par conséquent à l’embourgeoisement de l’espace insulaire.