Du au [xx-xx-xxxx]
Discipline : Sociologie
Financement : Région Bretagne

L’objectif de cette thèse est d’observer et analyser la présence du rire dans les modules de Français Langue Étrangère (FLE) ainsi que dans le quotidien des personnes immigrées et de comprendre son impact dans le processus d’intégration en Bretagne.

Les flux migratoires interrogent aussi bien au niveau des États qu’au niveau de la société. Contrôle des frontières, délivrance de visa, besoin de main d’œuvre, accès au logement, à l’éducation ou à la santé mais également le vivre ensemble, la citoyenneté, l’identité sont autant de sujets qui viennent nourrir le débat lié à l’immigration et font de celle-ci un phénomène social total. La crise des réfugiés en 2015 tout comme l’actualité plus récente - les Ukrainiens fuyant la guerre - ne cessent de nous rappeler que les migrations sont une réalité internationale qui représente « un enjeu majeur du XXIème siècle »[1].

Le nouveau projet de loi immigration, qui doit être présenté par le gouvernement français à l’automne 2023, nous confirme que la question de l’accueil, de l’intégration et du contrôle des personnes migrantes est bel et bien un sujet d’actualité qui est loin d’être résolue et d’avoir trouvé son mode de fonctionnement « idéal »[2]. Dans le cadre de ces interrogations le rire n’a-t-il pas un rôle à jouer dans le processus d’intégration des personnes immigrées ?

L’intégration comme injonction.

En France, l’après-guerre a favorisé l’arrivée de travailleurs étrangers qui n’étaient pas appelés à s’installer durablement. Suite à la fin des Trente Glorieuses et à des initiatives incitant les immigrés à retourner dans leur pays d’origine[3], le début des années 80 est marqué par la mise en place de mesures[4] traduisant une volonté d’insérer les personnes étrangères dans la société française. Les propositions visant l’insertion se sont également tournées vers la ville[5] avec pour objectifs de lutter contre l’exclusion et pour travailler à une égalité des chances. La notion d’intégration s’installe ensuite dans le vocabulaire politique français en 1989 avec la création du Haut Conseil à l’Intégration. Les années 2000 marquent un tournant politique en France puisqu’on va se focaliser davantage sur l’accueil des nouveaux arrivants. Par le biais de formations linguistique et civique le Contrat d’Intégration Républicaine [6]doit permettre aux nouveaux arrivants de comprendre et d’adhérer aux institutions et valeurs de la République présentées comme capitales. Par ailleurs, cette capacité à s’intégrer est une condition sine qua non à l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel. C’est dans ce cadre que D.Lochack[7] parle d’une double injonction avec d’un côté l’injonction à s’intégrer et de l’autre l’injonction à respecter les principes républicains. Encore faut-il se demander d’une part, quelles sont les valeurs de la France établies comme incontournables dans l’optique d’une intégration et d’autre part, qui et comment se vérifie cette adhésion. En parallèle, la notion d’« employabilité » fait son apparition puisqu’un module « Vivre et accéder à l’emploi en France » est ajouté à la formation civique. L’intégration serait donc liée à la capacité d’exercer un emploi ?

Ce dernier point nous rappelle combien il convient de préciser notre propos lorsque l’on parle d’intégration. Dans le cadre de ce travail de recherches, la définition de ce terme clé apparait comme indispensable. Nous avons bien conscience que l’« intégration » peut être abordée sous des angles aussi variés que celui du discours politique mais aussi ceux de l’action publique ou encore de la législation. Par ailleurs, parle-t-on de l’intégration culturelle, linguistique, structurelle, professionnelle ou encore de l’intégration civique et citoyenne ? Il nous semble que les uns ne vont pas sans les autres et que toutes ces dimensions sont à prendre en compte dans la mesure où elles font partie du quotidien de chaque individu. Le terme de populations migrantes mérite également une précision puisqu’il recouvre une pluralité d’origines, de statuts, de situations économiques et sociales, de trajectoires individuelles qui rend chaque profil unique. La diversité des individus, tout comme le panel d’acteurs ayant un rôle à jouer dans l’intégration nous amène à aborder l’intégration de manière aussi bien collective qu’individuelle, institutionnelle que contextuelle. 

Du rire dans l’intégration

Les réflexions formulées ci-dessus nous placent dans une vision segmentée de l’intégration. Cette dernière est à saisir comme l’aboutissement de la combinaison de plusieurs facteurs dont les résultats, en fonction des individus, peuvent être fortement inégaux. Dans cette démarche d’intégration segmentée, des facteurs individuels mais aussi contextuels sont pris en compte[8]. En ce sens, il nous semble que le rire mérite d’être analysé comme un de ces facteurs.

Le sociologue D.Lebreton précisait dans l’un de nos échanges que l’humour est « un outil de résistance face à l’adversité ». Il affirme même que « l’humour est une déclaration d’insoumission », « un remède à la résignation »[9]. Rire pour résister mais qu’en est-il du rire pour s’intégrer ? Faire preuve d’humour, rire et faire rire, peut-il être un facilitateur d’intégration ? Professeur de Français Langue Étrangère depuis plus de 10 ans, j’ai pleinement conscience de l’importance pédagogique du rire dans cet enseignement. Cependant, j’expérimente quotidiennement la complexité du rire qui est – aussi bien dans son déclenchement que dans son expression - intrinsèquement lié à la culture, aux normes, aux vécus, aux sensibilités, aux trajectoires individuelles, à la maîtrise de la langue du pays d’accueil, aux habitus de chacun. C’est justement parce que le rire est formé par le biographique mais aussi le culturel qu’il mérite notre attention dans ce travail de recherche. Ne participe-t-il pas à la création d’un vécu commun car rire et faire rire sont tous les deux une manière de partager, de s’exposer aux autres et ce de manière aussi bien physique que verbale ou culturelle. Par ailleurs, différents auteurs (Flandrin, Le Breton, Bergson) nous précisent que le rire joue également un rôle de rappel à l’ordre des normes. En effet, le rire est provoqué par le décalage entre une attitude observée et une norme en vigueur. Or, pour constater le décalage encore faut-il connaitre le paradigme en application. En ce sens, le rire peut-il être considéré comme facilitant l’intégration car il aide à la compréhension des normes culturelles et sociales du pays d’accueil ? En s’intéressant à la présence du rire dans les modules de FLE ainsi que dans le quotidien des personnes immigrées, nous chercherons à mieux cerner les facteurs qui contribuent à la performance du rire dans le processus d’intégration.

Le rire est une émotion éminemment socialisée. Il est de surcroit spontané mais terriblement complexe dans la mesure où il fait appel à la résonance individuelle tout en étant constitué d’implicites culturels. Cerner l’impact et la pertinence du rire dans un processus d’intégration pour les personnes immigrées permettrait, d’une part, de comprendre et d’améliorer l’accueil de ces personnes et, d’autre part, de doter les différents acteurs d’un outil efficace supplémentaire.

Méthodologie

Comme précisé plus haut le rire est un fait social total tant il englobe et concerne l’ensemble des domaines et acteurs de la société. En ce sens, ce travail de recherche s’insère parfaitement dans l’axe de recherche Pratiques expériences et représentations de l’espace.

Ce travail de recherche propose une démarche interactionniste privilégiant une approche ethnographique basée sur l’observation de cours de FLE et des entretiens collectifs et individuels. Les observations doivent permettre de repérer et d’identifier les rires présents, de voir qui y a recours, dans quels contextes et avec quelles finalités. De surcroît, il pourrait être probant de mettre en place un travail en collaboration avec des formateurs de FLE et leurs groupes d’apprenants. Un projet de création autour d’un épisode en lien avec leur origine qui les a amusés, ou encore autour des supports ou des situations qui les amusent nous permettrait de mieux appréhender les trajectoires individuelles et la place du rire dans celles-ci. Il serait également pertinent de se pencher sur la définition de l’intégration par les immigrés eux-mêmes. Connaitre leurs attentes et leurs sentiments, découvrir leurs stratégies vis-à-vis de leur intégration nourrirait notre réflexion. Par ailleurs, les entretiens permettront de faire ressortir les opinions partagées tout comme les désaccords au sein d’un groupe qui vit une expérience similaire. Ces entretiens offriront également l’opportunité d’aborder la question du rire de manière plus personnelle, plus intime, plus connectée aux trajectoires individuelles. Cependant, notre analyse de l’importance du rire dans le processus d’intégration ne devra pas rester uniquement au niveau des individus. Il faudra intégrer à notre réflexion le rôle joué par les institutions. Enfin, et puisque nous parlons de rire, il semble instructif de nous tourner vers les humoristes issus de l’immigration. Cela nous permettrait de cerner comment l’humour a pu les aider à se construire et se faire une place aussi bien dans la société que dans leur milieu professionnel.

Une méthodologie que je connais. Le master 2 m’a amené à réaliser des enquêtes de terrain afin de mieux cerner les conditions de vie des enfants travailleurs péruviens membres du MNNATSOP[10]. Ce travail de master constitue une expérience forte d’interculturalité, de prises de contact, de coordination avec les différents responsables, de mise en confiance et d’échanges avec divers interlocuteurs. Cet exercice de terrain m’a également confronté à l’exercice de la gestion d’une enquête ayant pour particularités d’être menée en espagnol auprès d’enfants âgés de 6 à 14 ans. Par ailleurs, la licence en Anthropologie a permis d’une part, d’enrichir mes connaissances socio-anthropologiques et d’autre part, de s’adonner aux exercices de l’observation et de l’enquête de terrain par le biais d’entretiens individuels. Cette démarche anthropologique a été précédée de tout un travail de problématisation, de recherches des personnes à interroger, de communication, d’explication de la démarche et de constitution d’un questionnaire adapté. Les entretiens ont été l’occasion d’expérimenter différentes méthodes et attitudes mais aussi les capacités à anticiper, rebondir, relancer, recentrer la discussion. Ces entretiens ont bien évidemment été suivis d’un temps de transcription et d’analyse des données recueillies. Des vécus universitaires et professionnels essentiels au moment de se doter d’une méthodologie et de mener à bien ce travail de recherche sur la place du rire dans le processus d’intégration des personnes immigrées. 

Par ailleurs, professeur de FLE depuis plus de 10 ans je connais les particularités et les exigences liées à son enseignement. Les années de pratique en Argentine et au Maroc ont ouvert mon champ d’intervention puisque les apprenants étaient aussi bien des universitaires, des personnes sans emploi que du personnel de l’administration publique en passant par des politiques ou des particuliers. En France, le contexte dans lequel je pratique mon métier est différent puisque les apprenants sont hors de leur pays d’origine. L’apprentissage de la langue peut avoir des objectifs multiples mais il est plus que tout lié à la capacité à communiquer et à s’intégrer. C’est ce que j’ai pu constater en travaillant aussi bien avec des mineurs isolés qu’avec un public de touristes, d’étudiants ou de conjoints étrangers[11]. Intégrer le CLPS[12] a représenté une nouvelle étape car cette structure propose et dispense un large panel de formations en FLE pour des personnes immigrées aux statuts variés. En plus des programmes de l’OFII, le CLPS propose des formations de FLE en lien avec différents aspects du quotidien[13] sur lesquels j’interviens régulièrement. Grâce à ces années de pratique et de formation, je maîtrise le CECRL[14], je suis au fait des programmes de l’OFII et je connais et prépare les apprenants à certains diplômes de FLE. De part ces diverses expériences et pratiques professionnelles, les questions d’interculturalité, de travail en équipe, d’exigence pédagogique, de propositions, d’adaptation et de réactivité, de communications régulières avec les partenaires (Mission Locale, AMIDS, Pôle Emploi…) font partie de mon quotidien professionnel. 

Du fait de mon métier, je connais le terrain d’observation et suis d’ores et déjà en contact permanent avec les personnes en charge des formations évoquées. Le contact avec les responsables des structures, l’accès aux cours, aux formateurs, tout comme la prise de contact avec des stagiaires me sont, pour la même raison, grandement facilités. Le CLPS, fort de 17 centres et 9 antennes dans l’ouest, se présente notamment comme un partenaire solide au moment de s’interroger sur l’intégration des personnes étrangères en Bretagne. Au vu de leur engagement auprès des personnes immigrées les associations SINGA et la CIMADE semblent également être des contacts de premier plan. La Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire de Saint-Malo, qui propose un programme de FLE aux mineurs isolés, s’avère également être un partenaire pertinent.

[1] Wihtol de Wenden Catherine, La question migratoire au XXIe siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales, sous la direction de Wihtol de Wenden Catherine. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2010.

[2] Le rapport remis en février 2018 par A.Taché (qui précise que « l’insertion linguistique, économique et sociale des personnes que nous accueillons est insuffisante »), tout comme Les « 20 propositions pour améliorer notre politique d’immigration, d’asile et d’intégration » remises en 2019 par le Comité Interministériel sur l’immigration et l’intégration renforcent cette idée de perpétuel ajustement.

[3] Le dispositif « million Stoléru » (1977), offre de l’argent aux travailleurs immigrés qui acceptent de retourner dans leur pays d’origine

[4] On pense ici à l’Agence pour le Développement des Relations Interculturelles ou au titre unique de séjour et de travail (1984)

[5] Avec les Zones d’Éducation Prioritaire (1981) ou encore la politique de Développement Social des Quartiers (1991)

[6] Le CIR est mis en place en 2016 ; en remplacement du Contrat d’Accueil et d’Intégration créé en 2003 et obligatoire depuis 2006.

[7] Lochak Danièle, « L’intégration comme injonction. Enjeux idéologiques et politiques liés à l’immigration », Cultures et conflits, no 64, 6 mars 2007, en ligne : http://conflits.revues.org/2136 (consulté en mai 2023)

[8] Safi, Mirna. « Le processus d'intégration des immigrés en France : inégalités et segmentation », Revue française de sociologie, vol. 47, no. 1, 2006, pp. 3-48.

[9] Le Breton David, « chapitre 6 : Rire de résistance », dans :  David Le Breton, Rire. Une anthropologie du rieur, Paris, Métailié, « Traversées », 2018, 260 p

[10] Movimiento Nacional de Niños y Adolescentes Organizados del Perú. 

[11] Publics rencontrés dans le cadre de la Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire puis à l’Alliance Française.

[12] Contribution à la Promotion Sociale

[13] Le FLE peut être associé au code de la route, à l’orientation professionnelle, au métier du bâtiment. 

[14] Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. Il s’étend sur 6 niveaux et permet d’évaluer sa maitrise d’une langue étrangère.

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