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Modéliser les émissions de gaz à effet de serre et polluants atmosphériques locaux liés à la mobilité : méthodologie appliquée aux villes du sud. Application aux cas de Bogotá et Lima.
Depuis le Rapport Brundtland en 1987 puis la Conférence de Rio en 1992, les agendas internationaux et les forums urbains mondiaux n’ont cessé d’afficher la « ville durable » comme un enjeu prioritaire, avec au cœur de cet enjeu, la « mobilité durable », consacrée dans les Objectifs de Développement Durable (2015-2030), en partant du constat que les externalités négatives engendrées par les activités humaines pouvaient affecter en profondeur les sociétés et l’environnement. La signature des Accords de Paris en 2015 a consacré la prise en compte du changement climatique dans les agendas politiques, y compris par les pays en développement (Sánchez et al. 2018 ; Espinosa et al. 2021). Le Pérou et la Colombie se sont tous deux engagés à des réductions ambitieuses d’émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’à réfléchir aux façons de s’adapter aux effets du changement climatique (Waisman H., 2021). Par ailleurs, les capitales de ces pays souffrent de graves problèmes de qualité de l’air qui affectent la santé des personnes et leur qualité de vie (Lee et Michael, 2021). Le transport et la mobilité jouent un rôle de premier plan dans les stratégies de réduction d’émissions tant des polluants atmosphériques locaux que des gaz à effet de serre adoptées par les pouvoirs publics, toutefois l’estimation des effets des actions engagées ou annoncées fait toujours l’objet de questions méthodologiques. Il y a donc fort à faire pour modéliser et comprendre les effets de pratiques de mobilité sur la génération d’externalités. Audelà de son aspect environnemental, la réflexion sur la modification des pratiques de mobilité a pris un rôle de premier plan avec la pandémie de COVID-19. Les enjeux de qualité de vie, accessibilité, sensation de sécurité entre autres, sont forts Gouëset et al. 2021). Méthodologie En nous appuyant sur l’étude des cas de Bogotá (Colombie) et Lima (Pérou), nous développons une méthodologie d’estimation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et polluants atmosphériques locaux provoquées par le transport de personnes. L’originalité de ce travail tient au fait que les émissions sont calculées sur la base de la demande de mobilité (les voyageurs.km effectués) à partir de la base de données de déplacements des deux enquêtes ménages-déplacements à notre disposition (EODH Bogotá 2019 et Enquête de déplacements Lima 2012) et non pas l’offre (les véhicules.km estimés) comme ce qui est traditionnellement fait pour les inventaires d’émissions. Bien sûr, le fondement théorique est le même (les personnes utilisent des véhicules pour se déplacer et ce sont ces véhicules qui émettent des polluants et GES). Mais l’intérêt de l’approche par la demande (voyageurs.km) est de pouvoir comprendre finement quel type de déplacement génère quel type d’émission, et à l’avenir réaliser des modélisations de changements de comportement (télétravail, report modal), mais également d’un changement de technologie des véhicules (électrification des autobus par exemple). Nous ne sommes cependant pas les premiers à proposer cette approche puisqu’une équipe internationale (Université EAFIT de Medellín, Université Autonome de Barcelone) l’a fait pour Medellín en 2016 (Bedoya, Marquet, et Miralles Guasch 2016). Les émissions sont calculées pour chaque trajet de la base de déplacements en multipliant un facteur d’émission dépendant du mode de transport et du carburant utilisé, obtenu pour chacune des deux villes de sources universitaires ou institutionnelles, avec la longueur de chaque trajet. Deux approches ont été employées pour estimer la distance parcourue qui ne sont pas exemptes de limites méthodologiques : la distance « à vol d’oiseau » d’une part, le temps de parcours multiplié par la vitesse moyenne du mode d’autre part. Principaux résultats obtenus ou attendus Les résultats préliminaires (émissions de GES et certains polluants locaux) sont présentés pour chacune des deux villes d’étude, aussi bien désagrégés par mode de transport que par motif de déplacement mais aussi par zone de résidence. Un grand soin a été attaché à la représentation graphique, et l’introduction d’une composante spatiale a permis de produire de cartes des émissions par habitant. L’intérêt de produire de telles cartes est double : (i) dans une optique de diffusion auprès du public, celles-ci permettent de montrer sous un nouveau jour les inégalités de mobilité au prisme des différences entre les émissions associées à des lieux de résidence et (ii) dans une optique d’évaluation de politiques publiques en cours ou à venir, cela peut permettre de prioriser certaines mesures sur d’autres : par exemple, la modernisation d’une flotte de bus par l’introduction de véhicules électriques ou « faibles émissions » en priorité sur des OD « carbonées », des mesures territorialisées de restriction de l’usage de la voiture, ou encore des plans de déplacements actifs (marche vélo) à l’échelle locale (la localité (Bogotá) ou le district (Lima)). Une comparaison avec les distances parcourues permet enfin de mettre en valeur des modes ou motifs plus « émetteurs » que d’autres. Les résultats sont comparés avec les résultats d’inventaires d’émissions de CO2 et de polluants locaux réalisés par le passé dans une perspective de critique et amélioration future du modèle.