Bien que la définition du terme « éthique » ainsi que la distinction entre « morale » et « éthique » fassent toujours débat, l’éthique pose la question de l’agir (Ricoeur, 1990), du « bien agir » sur la base de différents critères qui donnent lieu à différentes « figures éthiques » ou « théories morales » tels que l’éthique des vertus qui s’intéresse au perfectionnement vertueux de l’être humain, le conséquentialisme qui se penche sur les conséquences des actes et des règles de ceux-ci, le déontologisme affirmant le caractère moral d’une action accomplie en honorant des principes absolus (Billier, 2014). M. Canto-Sperber et R. Ogien (2017) proposent une cartographie encore plus détaillée des grandes conceptions de la philosophie morale. Le prisme de l’éthique à travers lequel nous entendons appréhender la question des mobilités migratoires nous amènera à aborder des questions d’« éthique normative », d’« éthique appliquée » ou de « méta-éthique », à partir d’une écoute des différentes voix qui se font entendre des Institutions, du terrain, des acteurs, ou en nous-mêmes.
Il s’agira, dans un premier temps, de rendre compte de la dimension éthique des politiques migratoires pratiquées actuellement ou à d’autres époques par les États, par l’Union Européenne, comme dans le cadre de programmes migratoires mis en place (Bauböck, Permoser & Ruhs, 2022 ; Boudou, 2019 ; Demuijnck, 2007). Quelles sont les approches et les orientations données à l’éthique de la part des décideurs publics dans le champ migratoire ? Comment les politiques d’ouverture ou de fermeture des frontières, les politiques sur les conditions de circulation, de travail, notamment des travailleur.ses temporaires et/ou détaché.es, envisagent-elles l’aspect éthique (Ciupijus, 2010 ; Proulx, 2013 ; Weiner, 1996) ? Nous réserverons l’étude des politiques d’« accueil » et d’aide portée aux migrants pour une prochaine journée d’études.
Dans un second temps, nous chercherons à rendre compte des motivations éthiques, individuelles et/ou collectives, aux mobilités migratoires contemporaines ou passées. Quelle est la part de motifs d’ordre éthique dans la décision de migrer (Guilbert, 2010) ? Est-elle seulement reliée à la question économique, politique et/ou religieuse (Hanafi, 2019) ? Varie-t-elle en fonction des catégories d’appartenance sexuées ? Il s’agira, entre autres, d’examiner chez les migrant.es les formulations, les représentations et les imaginaires de ce qu’est pour eux.elles la visée d’« une vie bonne », selon l’approche éthique aristotélicienne. Les migrants s’interrogent-ils eux-mêmes sur leur éthos de vie ou bien s’agit-il d’une interrogation axiologique réservée aux domaines politiques et scientifiques ?
Ceci nous amènera, dans un troisième temps, à venir questionner l’éthique du/de la chercheur.e lors de la collecte et de la restitution des données récoltées auprès de populations migrantes (Düvell, Triandafyllidou and Vollmer, 2010 ; Fiddian-Qasmiyeh, 2011 ; Sakkoyan, 2008). À partir d’un questionnement réflexif, les postures épistémologiques et les visions éthiques opérés par le.la chercheur.e pourront être argumentées. Comment se positionnent-ils.elles face aux enquêté.es, souvent en position de domination, comme dans le cas de migrations forcées (Clark-Kazak, 2017) ?
Chaque chercheur.e, inscrit dans sa discipline (sociologie, anthropologie, géographie, psychologie, histoire, philosophie, sciences politiques, droit, etc.), et selon des approches méthodologiques variées, pourra ainsi envisager et ré-interroger ses travaux sur les phénomènes migratoires sous l’angle de l’éthique afin de montrer la variété et la malléabilité, liée aux contextes et aux enjeux idéologiques, économiques et sociaux qui l’accompagnent, que cette notion comporte. Autrement dit, comment se présente l’éthique « institutionnelle » à propos des migrant.es et l’éthique mise « en pratique » par les migrant.es eux/elles-mêmes ? En quoi, le recours au vocable « éthique » pourrait-il relever, dans certains cas, d’une stratégie politique ? Et comment, d’autre part, l’éthique se présente-t-elle comme un outil épistémologique pertinent pour comprendre les migrations, la mise en discussion étant la nature même d’un questionnement éthique ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous aimerions également favoriser la participation de professionnels du champ migratoire pouvant apporter leur regard sur cette notion.
Les propositions de communication (titre, résumé de 400 mots et bref CV) sont à envoyer avant le 22 avril 2023 à Amélie Puzenat. Un retour sera fait aux propositions le 9 mai 2023 au plus tard.
Bibliographie
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- Bader, V. (2005), “The ethics of immigration”, Constellations 12(5), 331-361.
- Bauböck, R., Permoser, J. M., & Ruhs, M. (2022), “The ethics of migration policy dilemmas”, Migration Studies 10(3), 427-441. https://doi.org/10.1093/migration/mnac029
- Boudou, B. (2019), Le dilemme des frontières : Éthique et politique de l’immigration, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.
- Billier, J.-C. (2014), Introduction à l'éthique. Presses Universitaires de France.
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- Ciupijus, Z. (2010), “Ethical Pitfalls of Temporary Labour Migration: A Critical Review of Issues”, Journal of Business Ethics 97, 9–18. http://www.jstor.org/stable/41315813
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