L’imbrication du social et du spatial s’incarne dans les phénomènes de circulations des populations ; les recherches sur les mobilités quotidiennes ou sur les processus migratoires en sont de bonnes illustrations : parcours situés des individus, hybridation de l’identité sociale en lien avec les lieux traversés et habités, modes de déplacement liés au rapport à l’espace aménagé… Dans une approche dynamique, on pourrait dire aussi que les circulations nous prennent au « piège » de leur développement, en transcendant un grand nombre de frontières poreuses.
À l’heure où les experts de l’Organisation Mondiale de la Santé s’apprêtent à investiguer en Chine sur les potentiels facteurs et lieux originels de la pandémie de Covid-19, une thèse développée par les chercheurs est celle de la transmission de zoonoses de la chauve-souris via des hôtes intermédiaires (civette pour le Sars-Covid1 en 2003, dromadaire pour le Mers en 2012)1. Même si les chercheurs n’ont pas encore identifié formellement l’espèce hôte intermédiaire pour le Sars-Covid2, biologistes, épidémiologistes voire écologues analysent le phénomène du franchissement de la barrière d’espèces par les virus comme la résultante de la mise en contact potentiellement risquée d’espèces qui n’auraient pas dû se côtoyer ; en cause, d’après eux, la déforestation excessive pour la mise en culture, l’extension des infrastructures ou l’urbanisation2. Selon cette thèse des effets collatéraux et systémiques de la perturbation des écosystèmes, d’autres pandémies pourraient donc émerger de bien des aires géographiques où la déforestation sévit.
En outre, le phénomène de massification des mobilités, de leur fluidité sur longue distance explique la diffusion accélérée et généralisée de la pandémie, et aujourd’hui la difficulté à la juguler sans entraver un minimum d’échanges. La mobilité de longue distance est donc ainsi réellement devenue un point nodal, stratégique, des enjeux que font peser les modes de vie actuels sur nos modèles de développement.
C’est sur cette idée que j’aimerais poursuivre l’édito, pour l’ouvrir sur un débat qui risque de nous agiter en tant que chercheur-se et citoyen-ne : celui des enjeux de mobilité longue ou moyenne distance, réalisées par avion. La réflexion éthique et pratique nous est proposée en tant que laboratoire de recherche par le labo1point5, association pilotée par deux chargés de recherche CNRS et InRAe, soutenue dans le cadre d’un appel CNRS à diminuer l’empreinte écologique des activités de recherche (https://labos1point5.org/). Au sein des postes de dépenses et d’émission de GES (isolation des bâtiments, matériel de laboratoire, consommables…), se trouvent les trajets longue distance en avion pour congrès et missions de terrain. Le recul de ces mobilités impliquerait de diminuer la fréquence d’investigation d’une partie des terrains, le suivi de programmes, de conventions et de doctorats, les interactions avec des groupes de collègues et la friction à l’altérité des cultures et des personnes, ce qui pose un problème de qualité et d’ambition de pratique professionnelle. La question éthique et déontologique est bien de déterminer où il est pertinent de mettre le curseur en termes de « rationalisation » des déplacements longue distance. La question se pose par rapport aux opportunités offertes par la mondialisation et par rapport à l’alternative des réunions à distance. Les interactions humaines et sociales n’étant pertinemment pas les mêmes par les outils de visio-conférence, l’activité de recherche s’en trouve modifiée, et du point de vue de l’émulation collective, dégradée.
Au total, pour concevoir une transition vers un optimum de qualité de nos environnements – qui contiennent notre vie en société, il est nécessaire de déterminer à plusieurs échelles et collectivement quelle place peuvent tenir nos mobilités. Il n’existe pas à proprement parler d’espace public international de régulation (les Accords de Paris de 2015 sont eux-mêmes pris en défaut par la non-participation de plusieurs grands pays) ; les contradictions internes entre préservation des emplois et conversion vers d’autres activités/mobilités ne sont pas simples à dépasser. Commencer par se donner des règles collectives dans nos sphères professionnelles est-il un premier pas ? Et réclamer simultanément en tant que citoyen.ne de la part des instances une régulation des intérêts économiques en jeu dans les circulations de personnes, au profit d’un bien commun supérieur, en est-il un autre ?