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Les savoirs expérientiels : une révolution tranquille du sens et des possibles
Pour faire face aux situations de handicap - au-delà de ce que la médecine et la rééducation fonctionnelle peuvent apporter – un mouvement social s’est progressivement déployé dans les années 1960, avec pour horizon l’idéal d’une société pleinement accessible (Ravaud, 1999). Ensuite, des énergies se sont investies dans de nouveaux engagements visant à obtenir l’établissement de droits et leur effectivité (Driedger, 1989), pour une meilleure équité. Le mot d’ordre était alors l’égalité des droits et des chances pour une pleine participation à la vie en société, à égalité avec les autres citoyens (ONU, 1993). Les savoirs expérientiels (Borkman, 1976) représentent une nouvelle façon de faire bouger les lignes. Si les luttes pour l’accessibilité et les droits se poursuivent, les savoirs expérientiels relèvent d’une autre approche : celle de la subversion. Il ne s’agit plus d’une lutte frontale organisée par un mouvement social, mais d’une tentative de transformer les situations de handicap depuis l’intérieur, à partir de l’expérience intime. Si le monde est fondé sur la matière, il est également construit sur du sens partagé. L’avènement des savoirs expérientiels est une tentative de bouleverser le sens du handicap. Et qui dit changer le sens, dit changer l’ordre social, bousculer la hiérarchie des valeurs, transformer les identités et les habitudes de pensée. Le savoir expérientiel est le surgissement du nouveau et de l’inattendu là où il était convenu d’attendre souffrance et misère. Certains prennent appui sur les savoirs expérientiels pour poursuivre les luttes en faveur d’une plus grande démocratisation des systèmes de santé ou de l’accompagnement social, pour œuvrer à la réduction des rapports de pouvoir inscrits dans les interventions professionnelles, pour favoriser l’empowerment et l’autodétermination des usagers. Mais, fondamentalement, les savoirs expérientiels sont avant tout subversifs car ils ne viennent pas combler les manques et les incapacités. Au contraire, ils sont de nouvelles connaissances et compétences issues de la rencontre avec des circonstances de vie hors du commun : l’expérience rare (Gardien, 2022) ou non intersubjective. Ces savoirs, savoir-être et savoir-faire autrement constituent un soutien précieux pour choisir et mener sa vie, mais aussi pour participer à la vie en société. Ils sont le fruit de la créativité et de l’ingéniosité des personnes faisant face à des épreuves peu, voire pas comprises par le sens commun, ni même par les sciences. Ils constituent un apport en positif, de nouvelles ressources, des forces, un autre rapport aux épreuves, à soi, aux autres et au monde, et un ébranlement du sens du handicap.
To address disabling situations—beyond what medicine and functional rehabilitation can provide—a social movement gradually emerged in the 1960s. This movement aimed to create a fully accessible society (Ravaud, 1999). Subsequently, efforts were made to establish and ensure the effectiveness of new commitments aimed at greater equity (Driedger, 1989). The watchwords at the time were equal rights and opportunities for full participation in society on an equal footing with other citizens (UN, 1993). Experiential knowledge (Borkman, 1976) offered a new way of changing the status quo. While the struggle for accessibility and rights continues, experiential knowledge takes a different approach: subversion. Rather than a frontal battle organized by a social movement, it is an attempt to transform disabling situations from within based on personal experience. Although the world is founded on matter, it is also built on shared meaning. The advent of experiential knowledge attempts to change the meaning of disability. Transforming meaning shifts the social order, upsets the hierarchy of values, and changes identities and thought patterns. Experiential knowledge brings forth the new and unexpected where suffering and misery were expected. Some people use experiential knowledge to advocate for the democratization of healthcare systems and social support, reduce the power dynamics inherent in professional interventions, and promote user empowerment and self-determination. Fundamentally, however, experiential knowledge is subversive because it neither fills gaps nor compensates for incapacities. Rather, it consists of new knowledge and skills acquired through encounters with extraordinary life circumstances, such as rare experiences or non-intersubjective experiences (Gardien, 2022). This knowledge, interpersonal skills, and expertise are valuable for choosing and living one's life and for participating in society. These skills are the result of the creativity and ingenuity of individuals who face challenges that are not well understood by common sense or science. These skills constitute a positive contribution: new resources and strengths; a different relationship to challenges, oneself, others, and the world; and a shift in the meaning of disability.
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