De son origine dans le monde de la réadaptation médicale, le handicap a hérité d'une acception centrée sur l'individu et ses incapacités. Cette acception prévaut très largement dans ses usages ordinaires dans le monde francophone où le handicap désigne tantôt l'origine corporelle de l'incapacité, tantôt ses conséquences sociales et culturelles pour l'individu. Dans ces différentes acceptions, le handicap est incorporé à la personne et ainsi naturalisé, c'est-à-dire expliqué et justifié par la condition corporelle de l'individu concerné. Cette assimilation de la déficience ou de l'incapacité à la personne affectée, a été profondément remise en cause par les sciences sociales à partir des années 1970. L'argument central en a été que le handicap procède de mécanismes politiques, sociaux et culturels qui transforment certaines incapacités individuelles en situations sociales défavorisées. Dans ce paradigme, ce ne sont donc pas les déficiences ou les incapacités de personnes qui doivent retenir l'attention du chercheur, mais l'ensemble des mécanismes qui font d'une condition incorporée, une situation sociale spécifique. L'objet de ce texte est de présenter ce tournant analytique conduisant à substituer à un modèle individuel fondé sur l'adaptation de l'individu à son environnement, un modèle social et politique centré sur les réponses que cet environnement social et institutionnel apporte à la diversité de la condition humaine, et à questionner les implications de ce tournant pour la recherche en sciences sociales sur le handicap. Si chacun de ces modèles fonde son approche sur la condition corporelle ou sur la condition sociale des personnes, c'est parce qu'il vise à agir sur les situations prises en compte en privilégiant et en hiérarchisant certaines composantes. Une perspective d'action conduit en effet à privilégier certaines dimensions d'un phénomène par essence complexe, au détriment de la multiplicité de ses composantes et des relations qui le caractérisent. Or, du point de vue de l'analyse, la spécificité des handicaps réside dans la combinaison entre une condition corporelle marquée par des déficiences ou des incapacités dans des domaines spécialisés et une condition sociale qui se traduit le plus souvent par des situations sociales défavorisées. Ce sont alors les processus sociaux et culturels qui naturalisent des incompétences ou des incapacités sociales que l'analyse doit prendre en compte, mais ce sont aussi les possibilités d'agir de personnes handicapées qui doivent être considérées avec la même attention. La mise en oeuvre de cette perspective analytique se heurte toutefois à des difficultés qui procèdent de la structuration du champ des recherches sur les handicaps selon une double polarité entre des approches centrées sur les déficiences et les incapacités et relevant d'un modèle individuel des handicaps, et des approches centrées sur les milieux de vie et les institutions et relevant du modèle social. Ce texte s'attachera à présenter la structuration du champ des recherches et à envisager des perspectives pour en dépasser les limites et les contraintes. En partant de l'individu, il se propose de désenclaver la question des handicaps et de rompre avec une approche défective, qui constitue l'approche courante des handicaps, pour développer une approche centrée sur les capacités des personnes et sur les processus organisant et limitant les capacités qui fondent leur autonomie dans un contexte institutionnel.