Quels enseignements de la géographie de la santé pour la recherche sur la protection de l’enfance ?
Le territoire est progressivement devenu une notion incontournable pour les acteurs du secteur social. Alors que les travailleurs sociaux sont de plus en plus formés aux outils du diagnostic de territoire et au développement social local, les « managers » et les élus sont quant à eux particulièrement sensibles à la finalité stratégique du territoire conçu comme un outil gestionnaire et un levier de décloisonnement interinstitutionnel. Cependant, l’outillage conceptuel et méthodologique des enjeux spatiaux reste encore assez peu développé au sein du secteur et les recherches en géographie sont peu connues ou mobilisées (Fleuret & Séchet, 2002 ; David, 2008 ; Guy, 2015 ; Moine, 2015). Ce déficit de regard critique alimente d’ailleurs le risque de surdéterminisme spatial des problèmes sociaux (Tissot & Poupeau, 2005). Nous développons depuis 2014 des recherches sur la dimension spatiale (Veschambre, 2006) de l’action sociale et plus particulièrement au sein du secteur de la protection de l’enfance. Il s’agit dans ces recherches financées par l’ONPE (Observatoire national de la Protection de l’enfance) et par des Départements de mieux comprendre la différenciation spatiale des situations de maltraitance et/ou de négligence, des mesures de l’Aide sociale à l’Enfance (placements et accompagnement à domicile) et des pratiques professionnelles des travailleurs sociaux. Nous avons par exemple observé à partir d’une étude quantitative que les taux de mesures de l’aide sociale à l’enfance (ASE) pouvaient varier de 10 mesures pour mille jeunes âgés entre 0 et 19 ans en secteur périurbain à 44 pour mille dans certains quartiers urbains et ceci au sein d’un même Département (Terrier & Halifax, 2017). Après avoir réalisé des analyses statistiques et cartographiques, nous terminons actuellement une enquête qualitative auprès d’équipes de travailleurs sociaux de l’Aide sociale à l’Enfance en Ille-et-Vilaine afin d’approfondir l’analyse de ces différences territoriales. S’agit-il davantage d’un effet de l’offre (places d’accueil, nombre de professionnels) et donc d’un effet de lieu (Selimanovski, 2009) ou plutôt est-ce lié à la concentration spatiale des problématiques sociales sur certains territoires ? La culture professionnelle locale est également mise en avant alors que d’autres avancent l’idée qu’il s’agit d’une conséquence de la visibilité sociale des populations pauvres déjà accompagnées par les travailleurs sociaux au sein des quartiers. La combinaison de différents « facteurs de risque » (Dufour & Massicotte, 2005) est à l’œuvre avec toute la difficulté de pouvoir objectiver et hiérarchiser ces facteurs du fait de systèmes d’informations statistiques encore très lacunaires en France dans ce secteur (Fréchon, Halifax et Guyavarch, 2009). Les géographes de la santé travaillent sur des phénomènes socio-territoriaux très proches ; c’est pourquoi nous serions intéressées pour discuter avec les participants à ces journées des hypothèses d’explication de ces différences spatiales. Nous souhaiterions également interroger la place de l’action sociale au sein des travaux en géographie de la santé. En effet, alors que la géographie de la santé s’est largement penchée sur des sujets qui font l’actualité du secteur social comme par exemple l’accessibilité, les parcours, les facteurs de risque, les inégalités territoriales, etc… (Fleuret, Gasquet-Blanchard, Hoyez, 2019), ces recherches restent encore peu connues et mobilisées par les acteurs du secteur social du fait sans doute d’un cloisonnement qui perdure entre le secteur sanitaire et le secteur social. En effet, malgré la définition de l’OMS qui affirme l’existence d’une relation de dépendance réciproque entre la situation économique et sociale d’une personne et son état de santé, dans la plupart des pays dont la France, les actions concernant ces deux aspects du bien-être des populations se sont développées de façon indépendante les unes des autres. Les secteurs sanitaire et social ont développé des catégories d’intervention, des logiques professionnelles et des législations complétement différentes, ce qui rend difficile la coordination des interventions auprès d’une même personne, de même que la mise en œuvre de politiques publiques transversales aux différents secteurs (Roche & Bouquet, 2007 ; Jaeger, 2012 ; Bloch & Hénaut, 2014 ; Desprès, 2018).