Mosaïque de peuples, de langues et de cultures, la Caraïbe s'illustre avant tout par sa diversité et sa complexité. Dans cette région du monde où Nord et Sud s'entremêlent, où les grandes routes du commerce international se croisent, empruntant ce passage interocéanique obligé qu'est le Canal de Panama, les populations se sont mêlées, les cultures hybridées plus qu'en d'autres points du globe ; elles échangent, se déplacent, créant ainsi un patchwork de situations économiques et sociales qui pour certaines s'opposent, pour d'autres se rapprochent et se ressemblent mais où de toute façon paradoxalement le cloisonnement reste fort. Dans le même temps, cet espace caribéen, historiquement considéré par le voisin étasunien comme son arrière-cour réservée, a été le théâtre d'affrontements idéologiques, politiques et économiques entre grandes puissances.Plus récemment, à coup d'investissements importants, d'aides et d'accords négociés, la Chine y pose peu à peu ses jalons et construit ses relais pour poursuivre l'édification de sa route de la Soie. Car la Caraïbe n'est pas sans richesses ; riche en ressources naturelles, riche de sa biodiversité, riche de cultures, de créativité. Pourtant, malgré ces atouts, la Caraïbe reste un espace ou se côtoient des degrés de développement socio-économiques très hétérogènes ; quoi de commun entre Haïti dont le RNB par habitant atteint à grand peine les 3 100 dollars US en 2020, l'un des plus faibles au monde et les Îles Caïmans où ce même RNB plafonne à plus de 54 000 US $ ? Si les paysages paradisiaques de plages aux eaux transparentes turquoises, aux longues étendues de sables blancs bordées de cocotiers aliment les imaginaires de chacun, et se donnent à voir aux 82,2 millions de touristes et croisiéristes qui la fréquentent chaque année, la Caraïbe cache une réalité tout autre, faite de « mal développement », de misère, de pollution, de frustrations nées d'une histoire coloniale lourde, et d'environnement menacé. Ce n'est pas ce que les visiteurs veulent y voir, mais c'est pourtant ce que les populations vivent au quotidien. La réalité est autre et les difficultés sont bien réelles et tiennent pour partie au cloisonnement fort entre entités du bassin. Entre îles et continent, ce sont quelques 44 États ou entités qui se côtoient et qui vivent autour de ce bassin maritime. Depuis l'archipel des Grandes et Petites Antilles en passant par la Floride et les États américains bordant le golfe du Mexique, des côtes mexicaines du Yucatán en passant par les États de l'isthme centre-américain et le canal de Panama, jusqu'au plateau des trois Guyanes, cet ensemble caribéen regroupe plus de 337 millions d'habitants en 2020 (hors États-Unis), autour d'un bassin maritime de 4,3 millions de km². Dans la deuxième partie du XXe siècle, le bassin Caraïbe a connu des mutations considérables, liées au modèle de croissance des trente glorieuses, à ses possibilités d'y prendre part et aux évolutions consécutives aux différentes indépendances. La diversité des situations individuelles, des îles comme des états continentaux, a dans cette période toujours rendu la mise en place de politique de développement communes difficiles, voire quasi impossibles. Les organisations économiques y sont pourtant nombreuses mais les multiples tentatives pour construire un ensemble cohérent n'ont pas, à ce jour, abouti. Si l'Association des États de la Caraïbe a constitué en son temps un réel espoir de coopération entre États insulaires et continentaux, on ne peut que constater sa baisse d'influence depuis ces dernières années. De manière générale, les nouveaux enjeux auxquels sont confrontés maintenant les entités du Bassin caraïbe posent des défis considérables. Au cœur de cet ensemble caribéen composite, les régions et départements d'outremer tiennent une place particulière. La Martinique, l'archipel guadeloupéen et la Guyane comptent pour un peu plus d'un million d'habitants répartis très inégalement sur plus de 86 000 km². Ils sont réellement différents de beaucoup des autres entités du bassin au regard de plusieurs critères socio-économiques et parfois tout aussi éloignés des préoccupations de leurs voisins. Pourtant, les crises récentes témoignent d'un mal être profond, et les récents résultats électoraux en sont une illustration parmi d'autres. Dans ce contexte politique ou les jeux d'influence changent et à l'heure ou les tensions politiques se sont accrues à l'échelle internationale, tant avec la guerre en Ukraine que dans la tension avec la Chine, au lendemain d'une crise pandémique inédite pour les sociétés contemporaines, comment la Caraïbe peut se positionner tant les équilibres y sont parfois fragiles ? Quels sont les enjeux auxquels elle va devoir se confronter dans les prochaines décennies ? Et si ces enjeux sont caribéens, se déclinent-ils de la même façon dans les DROM français ? Quels sont les points communs, les éventuelles spécificités, les atouts ou faiblesses de nos territoires ultramarins caraïbe au regard des enjeux environnementaux, politiques, économiques ou sociaux actuels et à venir ? Les questionnements sont proches, parfois identiques et les difficultés et défis à relever sont souvent communs. En nous appuyant sur notre expérience de près de 25 ans de suivi et d'étude de cette zone du monde1, cette communication se propose de présenter les enjeux à deux échelles, celle de la Caraïbe et celle des territoires français caribéens. Réfléchir ces enjeux et défis à cette double échelle permet sans doute de mieux appréhender la trajectoire tant des DROM que du bassin Caraïbe dans le nouvel environnement international qui se dessine.