Des mots pour nos prochaines années
Pour la seconde année consécutive, tout ESO s’est retrouvée pendant deux jours à Angers en un lieu calme, et, même si nous avons eu une pensée pour le deuil qui frappait l’un d’entre nous, nombreux ont été ceux et celles qui ont goûté et apprécié ce moment hors de l’urgence. Alors, les différents ateliers organisés autour des entrées de notre projet scientifique ou improvisés en fin d’après-midi autour de thématiques (l’urbain, le rural, les dynamiques sociales et solidaires), ou encore les échanges plus informels de soirée en bord de Maine, ont confirmé qu’il y avait largement accord autour de la pertinence de construire ce projet à partir de quelques hypothèses d’évolution de nos mots formulées depuis une année. J’en retiendrai ici deux :
- d’abord la proposition qui sera faite à nos tutelles de changer le nom de l’unité sans changer le sigle. D’« Espaces géographiques et SOciétés », ESO va devenir « Espaces et SOciétés ». Ce changement est cohérent avec le positionnement scientifique de l’unité : puisqu’il s’agit d’analyser la dimension spatiale des sociétés, que peut être l’espace géographique face à des espaces sans adjectif mais pleinement sociaux ?
Cette évolution sémantique est aussi une exigence face à l’évolution pluridisciplinaire qu’ESOa connue au cours des dernières années, une manière de signifier aux non géographes qu’ils ont une pleine place dans l’unité et qu’ils sont invités à participer à l’oeuvre collective.
- La deuxième pour dire combien les mots utilisés sont le reflet de l’évolution des questionnements qui guident les recherches. Le vocabulaire des asymétries se renforce : les inégalités sont devenues « écologiques » ; les discriminations, les dominations et leur vécu s’imposent, reléguant à quelques commandes ponctuelles, ou quelque « Tableau géographique » préalable, la cartographie des disparités qui nous a valu tant de critiques. L’entrée « genre » s’impose aujourd’hui alors que ce n’est pas sans l’appréhension d’une ironique condescendance que j’en avais exprimé le souhait au début de mes fonctions à la direction de l’unité. Il en est de même pour l’individu. Non parce que nous aurions à notre tour cédé au culte d’aujourd’hui (quoique l’individualisme rende quelque peu difficile la rédaction des rapports d’activité !) mais parce que le rapport aux autres est, avec le temps et l’espace, la troisième dimension des rapports de l’être au monde.
La diversité de nos profils scientifiques et de nos appartenances disciplinaires est une richesse. Elle permet la confrontation et la complémentarité des regards tout en exigeant des efforts réciproques de compréhension des différences de contenu des mots et en imposant la déconstruction pour éviter les pièges d’usages relevant parfois du sens commun. Le séminaire du printemps 2006 sur les représentations sociales en psychologie, en sociologie, en géographie a été un de ces moments d’apprentissage collectif. Il nous faudra en imaginer d’autres !
S’ils ne sont pas géographiques, nos espaces sont bel et bien politiques et du politique. Et c’est bien pour cela que la géographie sociale ne se conçoit pas sans l’intervention sociale, et donc la recherche-action, et pas sans l’aménagement afin de rendre le monde plus vivable. Que serait un aménagement qui ne se poserait pas de questions relatives au projet de société qui guide l’action ?
Les mots sont ici ceux de l’éthique… Aujourd’hui 5 juillet 2006, jour de canicule et d’attente : les médias ne parlent que de la France (qui s’est ?) qui retient son souffle pour soutenir les Bleus à Munich, abandonnant à quelques militant-e-s et associations locales la défense d’enfants qui craignent d’être chassés de leurs écoles pour être renvoyés avec leurs parents « dans leur pays d’origine ». Pour nous, obligation de contester le pouvoir des mots et des médias ?
Bon match et bon été à toutes et tous
RAYMONDE SECHET