Appel à communications
Ce colloque a pour objectif de permettre la rencontre de chercheuses et chercheurs en sciences sociales partageant l’ambition d’intégrer pleinement l’espace dans l’étude de la société, autour d’un questionnement central : quels sont les rapports entre valeur des espaces et positions sociales ? Plus précisément : en quoi l’appropriation, la catégorisation, la hiérarchisation des espaces jouent-elles un rôle dans la production des inégalités, la différenciation et la hiérarchisation des individus et des groupes sociaux, la construction de rapports sociaux dissymétriques ?
Parler de catégorisation invite à interroger le rôle du langage et des discours, à travers notamment l’articulation entre mise en mots des espaces et mise en mots des groupes sociaux. Parler de valorisation peut nous entraîner vers un questionnement plus économique, sur la « marchandisation » des espaces et les tensions entre valeurs d’usage et valeurs d’échange par exemple, ou encore du côté des valeurs et représentations symboliques dont les espaces sont investis. Mais au bout du compte, il s’agit précisément d’interroger les formes et « luttes de classement » dans toutes leurs facettes (linguistiques, économiques, symboliques mais aussi matérielles, juridiques, politiques…) et plus encore dans les rapports qu’elles entretiennent, en faisant l’hypothèse que leur commune dimension spatiale permettra de problématiser ces relations de manière renouvelée.
De même, s’il existe plusieurs modes de division et de hiérarchisation des sociétés (classes sociales ou groupes socioprofessionnels, mais aussi genres, origines nationales ou « ethniques », âges, sexualités, langues, cultures…), les aborder par l’espace permettra sans doute de saisir la façon dont ils se combinent, entrent en concurrence ou se renforcent.
Interroger l’espace comme enjeu de rapports de pouvoir ou de concurrences diverses et entrecroisées, confère une centralité à la problématique de l’appropriation de l’espace. Cette notion renvoie principalement à l’usage exclusif ou au contrôle de l’espace (la privatisation des espaces domestiques, la fermeture des gated communities, l’entre-soi des clubs selects, l’exclusion des indésirables par delà les frontières…), mais il ne faudrait pas négliger ses autres significations : l’aménagement et l’usage autonome, le sentiment d’être chez soi ou à sa place, l’association symbolique ou identitaire (commune ouvrière, quartier chinois, bar gay…), etc. Qui s’approprie les différents types d’espaces (urbains / ruraux, centraux / périphériques, etc.) ? Grâce à quelles ressources l’appropriation ou l’attribution des espaces aux individus et groupes sociaux (par transmission ou assignation), ou au contraire leur expropriation ou mise à distance, sont-elles rendues possibles ?
Quels sont les espaces les plus disputés ? Inversement, peut-on s’approprier des espaces dévalorisés ou stigmatisés, à l’image des quartiers d’habitat social ou dégradé ? Y a-t-il des espaces « inappropriables » et qu’en est-il par exemple des « institutions totales » : hôpitaux, prisons, camps, casernes… ?
Quelles sont les différentes modalités ou stratégies matérielles et idéelles d’appropriation de l’espace (violences physiques, propriété ou autres dispositions juridiques, marquage symbolique, discours légitimes…) ? Et surtout, quels sont les rapports qu’elles entretiennent entre elles ? Ces stratégies se manifestent-elles toujours à travers le marquage de l’espace (architecture, signalétique, pratiques symboliques…) ou peuvent-elles rester « tacites » ?
Mais les rapports de concurrence ou de pouvoir concernent aussi la qualification de l’espace, la production de sa valeur et non sa seule appropriation. D’autant plus que les notions de valeur, de (dé)valorisation, etc. renvoient à des constructions sociales (non à des propriétés naturelles), ayant de multiples facettes (non univoques), variables non seulement selon les sociétés et les époques, mais également au sein d’une même société. Comment passe-t-on du classement comme simple découpage à la hiérarchisation, des différences spatiales aux inégalités sociales ? Comment valorisations et dévalorisations s’articulent-elles à chaque échelle spatiale (habitat, quartier, ville, région, territoire national…), mais aussi entre ces différentes échelles ? Et comment contribuent-elles à les construire ?
Quelles sont les différentes formes (économiques, fonctionnelles, esthétiques, symboliques, affectives…) de hiérarchisation des espaces ? Sont-elles cumulatives ou au contraire exclusives et contradictoires, ou encore elles-mêmes hiérarchisées ?
Comment chacune de ces formes de valeur évolue-t-elle dans le temps, de sa production à sa disparition, en passant par sa diffusion ou objectivation ? Comment peut-elle s’inverser (et selon quelle temporalité), comme dans le cas de la patrimonialisation/gentrification de certains quartiers ou de l’application de la notion de risque à certains espaces (catastrophe, évolution des perceptions, des documents d’urbanisme…) ?
Qu’est-ce qui fait, ou plutôt qui fait (ou défait) la valeur des lieux et espaces ? Quel est le rôle des ménages, de l’État et des collectivités locales (à travers les politiques de logement, les politiques urbaines, sociales, scolaires…), mais aussi des médias (des chaînes nationales de télévision à la presse locale), des autres entreprises (stratégies de localisation, d’embauche, discriminations...), des associations, etc., dans cette fabrication ? Quelle est la part de domination, ou au contraire de résistance et de « quant à soi » des individus et groupes sociaux, notamment les plus démunis ? Bref, comment la valeur circule-t-elle et se transmet-elle (ou pas), d’un individu ou d’un groupe à un autre, mais aussi d’un groupe à un lieu, d’un lieu à un individu, d’une dénomination à une autre… ?
À ces questionnements, non exclusifs d’autres propositions du même ordre, il nous semble important d’ajouter un axe plus réflexif et historiographique sur le regard et les pratiques des « savants » : outre les jugements de valeur portés sur les groupes et espaces qu’ils étudient, quels sont les rapports entre les catégorisations « savantes » et les catégorisations « ordinaires » ou « indigènes » ?
Le lien que l’on peut imaginer entre ces découpages du social et les divisions de la recherche en disciplines et spécialités, rend plus cruciale encore la rencontre de l’ensemble des sciences sociales, aujourd’hui plus attentives à la dimension spatiale : géographie, histoire, sociologie, ethnologie, sociolinguistique urbaine, histoire de l’architecture, économie, science politique, droit… De même que le dialogue doit s’instaurer entre les spécialités fondées sur des terrains de recherche (études urbaines, rurales, et maintenant périurbaines) ou sur des aires géographiques (États, continents ou régions du monde), de façon à favoriser les confrontations et si possible les comparaisons internationales.
Comité scientifique :
Isabelle Backouche, MCF en histoire, CRH - UMR CNRS 8558 / PRI Études urbaines, EHESS, Paris.
Thierry Bulot, MCF habilité en sociolinguistique, CREDILIF, Université de Rennes 2.
Annie Fourcaut, PR en histoire, Directrice du CHS - UMR CNRS 8058, Université de Paris I.
Maria Gravari-Barbas, PR en géographie, CARTA - UMR CNRS 6590, Université d’Angers.
Régis Keerle, MCF en géographie, RESO - UMR CNRS 6590, Université de Rennes 2.
Brigitte Marin, PR en histoire, TELEMME - UMR CNRS 6570, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, Aix-en-Provence.
Emmanuel Martinais, Chargé de recherche en géographie, RIVES – UMR CNRS 5600, ENTPE, Lyon. Christelle Morel-Journel, MCF en géographie, RIVES - UMR CNRS 5600, Université Jean Monnet de Saint-Étienne.
Gilles Laferté, Chargé de recherche en sociologie, CAESER INRA-Dijon, chercheur associé au Centre Maurice Halbwachs - UMR CNRS 8097.
Claude Loupiac, MCF en histoire de l’architecture, AVD, Université de Paris I.
Philippe Madeline, MCF en géographie, CRESO - UMR CNRS 6590, Coresponsable du Pôle « Sociétés et espaces ruraux » de la MRSH, Université de Caen Basse-Normandie.
Michel Rautenberg, PR en ethnologie, CLERSÉ - UMR CNRS 8019, Université de Lille 1.
Nicolas Renahy, Chargé de recherche en sociologie, CAESER INRA-Dijon, chercheur associé au Centre Maurice Halbwachs - UMR CNRS 8097.
Raymonde Séchet, PR en géographie, Directrice de l’UMR CNRS 6590, RESO, Université de Rennes 2.
Yasmine Siblot, MCF en sociologie, Laboratoire Georges Friedmann - UMR CNRS 8593, chercheuse associée au CSU - UMR CNRS 7112, Université de Paris 1.
Sylvie Tissot, MCF en sociologie, CSU - UMR CNRS 7112, chercheuse associée au GSPE-PRISME - UMR CNRS 7012, Université de Strasbourg II.
Cyril Trimaille, MCF en sociolinguistique, LIDILEM, Université de Grenoble 3.
Vincent Veschambre, MCF habilité en géographie, CARTA - UMR CNRS 6590, Université d’Angers.
Nadine Vivier, PR en histoire, LHAMANS, Université du Maine.
Pierre-Paul Zalio, PR en sociologie, IDHE, ENS-Cachan, Paris.
Liste des communications
Les multiples enjeux sociaux de la requalification des lieux
Auteur (s) | Communication |
Frédéric FESQUET | Espaces produits, espaces prescrits : formes et enjeux du contrôle des espaces montagnards. L’exemple des montagnes méditerranéennes françaises au XIXe siècle |
Laurence GILLOT | Les dynamiques socio-spatiales de la mise en valeur des sites archéologiques habités : le cas de Bosra en Syrie |
David GOEURY | Les espaces du mérite : enclavement et construction d’un espace transnational |
Marie-Hélène POGGI | Fabrication des espaces culturels : les enjeux sociaux et communicationnels de la qualification des lieux urbains |
Thomas ZANETTI | La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne. Un conflit mémoriel |
Se réapproprier des espaces résidentiels populaires : ambivalences et tensions
Auteur (s) | Communication |
Marie-Christine COUIC & Jean-Michel ROUX | Les Hauts Champs de Hem, un « Chelsea du pauvre » ? |
Cécile CUNY | évolution de la structure de la propriété et transformation sociale des espaces dans un secteur de grands ensembles de l’Est de Berlin. L’exemple de Marzahne |
Marianne GUÉROIS, Claire HANCOCK | Vendre le 19e arrondissement de Paris : dé-qualification et reclassement d’espaces périphériques de la capitale |
Hovig TER MINASSIAN | La Réhabilitation du Centre ancien de Barcelone : multiplicité des enjeux, des réappropriations, des tensions |
Un espace approprié et valorisé : ressource et enjeu pour les catégories supérieures
Auteur (s) | Communication |
Jean-Michel DECROLY, Chloé DELiGNE, Michèle GALAND, Christophe LOIR & Mathieu VAN CRIEKINGEN | Permanence et transformation des espaces résidentiels élitaires dans le centre de Bruxelles (XVIIIe – XXIe siècle) |
François DUMASY | Au milieu et à part. Prestige et centralité à Tripoli de Libye pendant la colonisation italienne, 1911-1943 |
Khalid MOUNA | La culture du kif et son impact sur l’appropriation de l’espace : le cas de Ketama dans le Rif central (Maroc) |
Zélie NAVARRO-ANDRAUD | La territorialisation des administrateurs coloniaux : ligne de clivage et marqueur de créolisation |
Thomas PFIRSCH | La maison de famille : espace hérité, espace enjeu. L’exemple de la bourgeoisie napolitaine contemporaine |
Stéphanie VERMEERSCH | Les couches moyennes contemporaines et l’espace : arbitrages, tensions et conciliations |
Représentations et appropriations de l’espace par les migrants et nouveaux arrivants
Auteur (s) | Communication |
Tristan BRUSLÉ | Rendre l’étranger familier. Modes d’appropriation et de catégorisation de l’espace par les migrants népalais en Inde |
Julie CAILLIEZ | Retour sur la question de l’appropriation de l’espace : Le cas des fonctionnaires européens à Bruxelles |
Gaëlle DEQUIREZ | Processus d’appropriation et luttes de représentation autour du « Little Jaffna » parisien |
Élodie DURU | La diaspora indienne de Southall Broadway, des rapports complexes avec son espace : entre appropriation et (dé)valorisation |
Lorène LABRIDY | Territorialisation sociolinguistique des migrants et des non-migrants de la ville de Fort-de-France |
Benjamin LAPLANTE | Interactions et justifications des valeurs spatiales de l’habiter |
Mobilité ou autochtonie ? La dimension spatiale des ressources sociales
Auteur (s) | Communication |
Chadia ARAB | Appropriation spatiale différenciée des Marocains à Angers et à Beni Ayatt. Entre périphérisation et centralité spatiale |
Emmanuelle BONERANDI | Disqualification spatiale, disqualification sociale : corrélation ou renversement des valeurs à travers le rapport à la mobilité des Rmistes de Thiérache |
Violaine GIRARD | Enjeux locaux, richesse communale et ressources sociales : La trajectoire d’ascension du maire d’une commune rurale face à l’industrialisation |
Caroline MAZAUD | Le rôle du capital d’autochtonie dans la transmission d’entreprises artisanales en zone rurale |
Emmanuelle PETIT | La lutte pour les places et les marques dans le cimetière du Biollay à Chamonix |
Eugénie TERRIER | Mobilité spatiale : moteur de l’ascension sociale ou catalyseur de la hiérarchisation des sociétés ? Le cas des étudiants en mobilité internationale |
Espaces sous contrôle, faiblesse des ressources : des espaces inappropriables ?
Auteur (s) | Communication |
Paul COSTEY | Ségrégations familiale, professionnelle et nationale dans une cité ouvrière (1918-1940) |
Choukri HMED | L’espace mobilisé. Une analyse des relations entre espace géographique et action collective à partir d’une étude de cas : les mobilisations des résidants des foyers Sonacotra dans les années 1970 |
Karine MESLIN | Espace fragmenté, ouvriers divisés. Les ouvriers de la haute technologie en prise aux segmentations de l’espace de production |
Marie MORELLE | La production de la rue. Appréhension d’une catégorie sociale dans ses dimensions spatiales : les enfants des rues à Yaoundé (Cameroun) |
Bruno SABATIER | [Les complexes commerciaux récréatifs, analyseurs de l’appropriation des espaces urbains privés et publics en France et au Mexique>000] |
Fanny SALANE | Être étudiant en prison : distinction spatiale et appropriation sélective du territoire carcéral |
Les usages politiques de l’espace (1) : les catégories des discours dominants
Auteur (s) | Communication |
Laurent BERU | Espaces déshérités et médiatisations héritées. Quand les discours médiatiques alarmistes sur les quartiers populaires conditionnent |
Olivier RATOUIS | Énoncer, découper, véhiculer. ZUP ou les variations d’une catégorie déshéritée |
Jean RIVIÈRE | Catégorisations résidentielles et autres classements sociaux dans les discours médiatiques. La campagne présidentielle française de 2007 dans la presse écrite |
Marius SCHAFFTER | La ville et la campagne existent ! Analyse de la catégorisation des objets géographiques dans les discours de l’aménagement |
Les usages politiques de l’espace (2) : administrer / découper / classer
Auteur (s) | Communication |
Michela BARBOT | La résidence comme appartenance. Les catégories spatiales et juridiques de l’inclusion et de l’exclusion dans les villes italiennes d’Ancien Régime (XVIe - XVIIIe siècles) |
Thomas MARTY | La hiérarchisation de l’espace électoral au début du XXe siècle : retour sur une difficile production politico-administrative |
Moussa TOURÉ | Acteurs et pratiques de la gestion communale bamakoise : tensions et clivages entre normes et stratégies citadines |
Isabelle VOUETTE | La catégorisation des campagnes françaises. Trois approches (XVIe-XVIIIe siècle) |
Frontières et conflits, juridiques et symboliques : le local dans l’international
Auteur (s) | Communication |
Pierre BERTONCINI | Graffiti bombé et territoire corse : le grand enforament ? |
Christian FLEURY | Frontière marine et espace social : l’appropriation de la mer dans le golfe Normand-Breton |
Fabien GUILLOT | Conflit pour la terre et lutte de légitimité. Réflexions sur l’appropriation à partir de l’exemple du mur de séparation entre israéliens et palestiniens |
Jean-Benoît TSOFACK | Les divisions d’une ville coloniale par les mots : les deux Tanga et la ville cruelle de Mongo Beti |